Double rêve texte intégral
Sur la route du Docteur Frankenstein
Texte de fiction
Note au sujet du texte: j'ai écrit ce texte en guise de réflexion sur le thème de la folie et de la mort. Je pense que ce qui rend un texte authentique c'est la souffrance qu'il dégage parce que c'est l'un des sentiment les plus partagé au monde. Par ailleurs, c'est l'émotion qui inspire le plus de profondeur parce qu'elle engendre une forme de compassion chez un lecteur. Je ne dis pas qu'un récit doit toujours être sombre pour être intéressant mais la joie ou le bonheur qui s'y trouve n'a d'importance que parce que le personnage principal a souffert. En d'autre terme, la souffrance en général rend la joie et le bonheur précieux. Le texte semble de premier abord sans queue ni tête, mais il se trouve qu'il relate les pensées d'une personne à l'esprit égaré.
Je tire le rideau d'un coup sec, la lumière du jour m'aveugle, m'obligeant à fermer les yeux quelques instants. Encore une journée typique me dis-je à moi-même. Cela fait deux semaines que je me cache dans cette petite maison dans la campagne, sans aucune autre habitation à part des champs de maïs à perte de vue. Je fuis cet endroit que ce drôle de psychiatre a voulu m'enfermer. Il a affirmé que je suis instable, voir même délirant. N'importe quoi! Je suis tout à fait en pleine possession de mes capacités mentales. Je ne délire pas, je sais que quelqu'un souhaite ma mort et j'ai envie de hurler que je ne suis pas paranoïaque. Mais il est vrai que ça ne m'arrange pas toutes ces affiches placardées partout dans les rues ou ces annonces à la radio et à la télé. Je me félicite d'avoir choisi une bonne cachette parce que personne ne la trouvera! Mais en es-tu vraiment sûr? Me questionne ma conscience douteuse. Je déteste quand ma saleté de conscience me joue ses sales tours. Je vérifie si j'ai encore assez de nourriture pour au moins une semaine de plus. Il faut dire que j'ai dévalisé une bonne partie du garde manger de cet asile de fou. Ma sacoche ressemble un peu à un fourre tout. Un paquet de chips et une boîte de cookie sont enroulés dans mon sweat-shirt à capuche bleu. Des sandwichs aplatis par la pression se trouvent au fond de ma sacoche, sans parler des autres aliments que j'ai mis dans le frigo. Je regarde la pile de feuille que j'ai voulu emportée avec moi. Je la saisis par réflexe. La première feuille semble être une fiche de présentation. Je reconnais mon nom Eddy MARTIN, 26 ans, célibataire (comme si c'est utile de le préciser) souffrant d'un délire psychotique. "Délire psychotique " , je déteste ce terme. Je jette violemment la fiche avec le reste de la pile par terre, je ne veux pas lire la suite, je suis trop en colère. J'observe les feuilles s'envoler avant de se poser sur le sol. Je me demande pourquoi j'ai voulu emporter tout ça avec moi avant de m' en désintéresser. A la vue de mes mains qui tremblent, j'en conclu que ma colère n'est pas passée. Je cherche un moyen de me calmer.
La plupart du temps, je reste dans la chambre faisant les cents pas ou assis dans un coin je suis dans mes pensées. Puis au bout d'un moment, je me rappelle qu'il me reste encore deux boîtes de calmants. Je farfouille dans ma sacoche et quelques secondes plus tard, je tiens la boîte entre les mains. J'en avale trois d'un coup sans prendre un verre d'eau, ni me poser des questions sur les effets secondaires, une vieille habitude (bonne ou mauvaise, je n'en sais rien). Mon problème c'est que mes pensées sont toujours tournées vers la mort. Je ne sais pas pourquoi mais je considère la mort comme une libération et non pas une fatalité de la condition humaine comme pense la plupart des gens. C'est pour cela que l'on me trouve dingue. Enfin le terme que les médecins ont employés était "une envie suicidaire". Mes pensées errent sans se fixer sur une idée précise de sorte que je n'ai pas vu le temps passer. Je ressens une sensation bizarre dans mon estomac, je mets un peu de temps avant de comprendre que j'ai faim. Je pioche un paquet de chips dans mon sac. Je ne sais pas pourquoi, mais ces derniers temps j'apprécie particulièrement le coloriage, je reconnais un bout de mon carnet parmi les feuilles qui sont éparpillées sur le sol. Je me penche pour la prendre et me dirige vers une table proche de la fenêtre où j'ai posé mes crayons de couleurs. Je colorie le dessin d'un aras avec intensité, jusqu'à en avoir des crampes aux bras. Puis je m'assoupis en faisant un rêve ou plutôt un cauchemar. En tout cas c'est comme cela que les gens dit "normaux" appellent ce genre de manifestation de l'inconscient. Voilà ce qui s'y passe: je suis allongé dans un lit avec une grosse marque sur le coup. Surpris par cette image, je me réveille et je constate que la nuit est presque tombée. Je lève la manche de ma chemise pour regarder l'heure sur mon antique montre. Il est dix-neuf heures. Je mange une moitié de sandwich par souci d'économie. Puis comme tous les soirs depuis que je suis arrivé ici, je fais le tour de la maison pour vérifier que tout va bien. Une fois mon habituel vérification faite, je remonte dans ma chambre pour dormir.
Je cours le long de ce qui semble être une plage. Mes pieds s'enfoncent dans le sable, je ne peux rien distinguer à plus d'un mètre. Je trébuche et m'affale sur mon ventre, je me retourne sur le dos, essoufflé. Mes yeux observent maintenant le fond d'un ciel bleu foncé, immense, insaisissable, loin au dessus de moi. Mais par-dessus tout, se sont les étoiles qui m'hypnotisent. Elles scintillent, là-bas au loin, formant de formidable petit point lumineux et m'embarquent au plus profond de mon être. Le vent, doux et frais, souffle près de mes oreilles, ressemblant presque à des murmures, il me caresse les joues et les bras. Un léger sourire s'échappe de mes lèvres, je me sens serein dans ce silence, je n'entends plus que le battement régulier de mon cœur comblé de plénitude. La légèreté de mon corps me fait penser qu'il flotte dans les airs. Mon imagination me pousse à croire que mon âme est prisonnière dans l'une de ces étoiles, c'est pourquoi, je ne dois pas m'arrêter de les fixer. Mais comment savoir laquelle d'entre toute est la plus authentique ?
Je ne détache plus mes yeux du ciel, guettant le moindre signe qui m'aidera à reconnaître l'endroit où se cache mon âme. Mais quelque chose de froid et d'humide me glace le corps, je n'ose pourtant pas détourner mon regard de peur de perdre ma seule chance de trouver l'endroit où réside l'essence de ma vie. L'humidité gagne peu à peu mon corps jusqu'à le recouvrir. Je sens l'eau fraîche sur mon cou, elle remonte à une vitesse hallucinante sur mon visage. Désormais, je ne peux plus respirer. Curieusement, je ne me sens ni paniqué ni effrayé mais un sentiment d'exaltation gronde en moi, comme un lion enfermé dans une cage j'attends impatiemment le moment de ma libération. Au bout de quelques secondes, mon corps est pris dans une violente convulsion, l'air se raréfie dans mes poumons. Soudain, une lumière aveuglante m'éclaire, peut- être celle des étoiles. Mais l'infirme petite part de rationalité existante encore en moi me dit que non. Il s'agit sans doute d'une lumière provenant d'un fard non loin de là. Je m'en tiens à cette hypothèse. Mes pensées s'évadent et s'éparpillent dans tous les sens, la mort est proche.
Au moment où le noir complet vient absorber mes dernières pensées, je me réveille brusquement. Je suffoque. Je respire une grande bouffée d'air par la bouche. Je m'assois tant bien que mal sur mon lit, tellement mes bras tremblent et se trouvent dans l'incapacité de me soutenir. Je reste pendant quelques minutes la respiration saccadée, le cœur tambourinant dans ma poitrine. Je regarde vers la fenêtre, c'est une nuit noire, seul les lampadaires de la rue projettent quelque lueur, laissant voir les ombres des arbres. Je me tourne vers la petite montre que j'ai posé sur la table de chevet, je lis deux heures du matin. Je n'arrive pas à décider de la qualification de cette étrange expérience, un rêve ou un cauchemar? La fin se termine par la mort, mais pas une mort causée par le désarroi, mais par celle d'une libération. La mort suggère le cauchemar, la libération le rêve. Un mélange des deux. Voilà donc une expérience inqualifiable. Est-ce le résultat de mon inconscient qui tente d'éclaircir mon esprit, qui a été un peu plus tôt dans la journée tourmenté justement au sujet de la mort?
Je me lève pour aller chercher un verre d'eau dans la cuisine. Je marche le pas traînant, les yeux encore bouffis de sommeil. Je descends lentement les escaliers. Je suis à présent dans la cuisine, un verre d'eau à la main. J'éteins la lumière. Alors que je m'apprête à remonter les escaliers, deux gros yeux verts m'observent depuis le salon qui se trouve à ma droite. La peur me laisse sans voix, néanmoins incapable de rester sur place, je monte l'escalier quatre à quatre, rejoins ma chambre et referme la porte en la claquant.
- Qu'est-ce que c'était? Me dis-je à moi-même le souffle haletant.
Je fonce vers mon lit, la tête enfouit dans ma couverture. Suis-je encore en train de rêver? Peut-être que je suis somnambule. Mais l'intensité de ce regard m'a pénétré jusque dans l'âme que je ne peux garantir qu'il aurait s'agit d'un rêve. La peur me glace le sang, je reste allongé, sans bouger, complètement paralysé. C'est à peine si j'ose respirer. Mais le semblant de conscience qui reste en moi se veut positive. Elle me rappelle à l'ordre comme elle est sensée le faire presqu'à chaque fois, en me suggérant que ce n'étais que les yeux d'un chat. Cette idée me donne envie de rire. Un instant plus tard, je suis hilare. Osant enfin bouger, je me tourne du côté gauche provoquant la chute de ma couverture.
C'est là que je l'aperçois, une ombre près de moi. Mon rire se transforme en un son rauque. Je ne parviens pas à hurler tellement le choque est flagrant . La dernière vision s'arrête entre deux mains tendues vers moi. Je repense pendant environ un millième de seconde à mon rêve un peu plutôt dans la journée, moi couché dans un lit inerte. C'est la mort qui me tend les bras.
Le son d'une voix me parvient de loin, résonnant comme un brouhaha lointain, je me demande si c'est le paradis. Ma tête me fait horriblement mal. Par réflexe, j'ai envie de me lever, mais bien entendu, je n'y parviens pas. Puis mon corps tendu se détend peu à peu. Bizarrement je peux remuer mes doigts. Un homme est penché vers moi. Il me parle mais je ne comprend pas ce qu'il me dit. Je regarde ses lèvres et je lis: comment vous sentez-vous?
J'ignore pourquoi mais au lieu de répondre à la question, je lui en pose une.
- Est-ce que vous êtes Dieu?
Sans répondre à ma question, il me sourit. Maintenant que je peux bouger, je tente de m'asseoir. L'homme m'aide en me soutenant fermement avec ses deux bras. Je vois alors l'étendue de la pièce. Elle me semble vaguement familière. La porte s'ouvre, je reconnais avec horreur le docteur Leste qui entre dans la chambre. A sa seule vue, je comprends enfin que je n'ai jamais quitté l'asile. Un hurlement de rage s'échappe de ma bouche, je m'apprête à sortir de mon lit mais deux grosses mains me plaquent à terre.
Au bout d'un moment je ne ressens plus rien, mes paupières sont lourdes et je m'endors profondément.