VULNERABLE (texte intégrale)

SYNOPSIS

Bérénice vient tout juste d'entrer à l'université. Alors qu'elle feuillète un livre dans une boutique d'antiquité, elle se sent épiée par quelqu'un. Depuis lors, un sentiment d'angoisse et d'insécurité s'empare d'elle et ne la quitte plus. Mais qui est cette personne qui la poursuit partout, aussi bien dans la vie réelle que dans ses rêves ? Une course poursuite s'engage la forçant à se retrancher sur elle-même. Parviendra-t-elle à retrouver un équilibre ?

Chapitre 1

La voiture vient de tourner dans l'aller qui débouche vers mon lotissement, lorsqu'elle passe à la hauteur du bâtiment, je jette un coup d'œil vers la fenêtre du premier étage où se trouve mon studio. Je m'attends à ce que mon frère se gare, mais il continue de rouler jusqu'au bout de la rue et tourne à droite. Je regarde aux alentours et constate qu'il n'y a plus de place pour se garer. Il roule encore quelques mètres, et finit par dénicher une place entre une Citroën bleue et une Mégane grise. Je pense à tous les cartons qu'on va devoir porter en réprimant une grimace. Heureusement, ma valise n'est pas trop lourde, et que finalement, sur les quatre gros cartons que j'ai empilés dans le coffre, seul l'un d'eux est rempli à ras-bord de tous les livres dont je n'ai pas pu me séparer. Mon studio est déjà équipé d'un four micro-onde à mon grand soulagement. Puis chacun commence à emporter quelque chose en retenant son souffle.

Après environ une demi-heure de va et vient entre le studio et la voiture, essoufflés, ma mère, mon frère et moi sommes d'accord pour prendre un goûter qui se résume en un vers de jus d'orange chacun, accompagné de biscuits au chocolat, faute de mieux car nous devons faire les courses. Les centres commerciaux se trouvent aux périphéries de la ville ce qui nous oblige à reprendre la voiture. Nous avons le choix entre le centre commercial appelé la Toison d'Or ou celui de Quetigny. Mon frère choisit Quetigny parce qu'il est le plus proche et que par la même occasion nous pourrions apercevoir le campus universitaire. Faire les courses a été finalement plus long que prévu et plus coûteux que jamais. J'ai essentiellement pris des surgelés, des céréales et du lait, des biscuits de préférence au chocolat, quelques fruits et des boissons. Nous sommes sortis du centre commercial vers dix-huit heures. Ma mère et mon frère m'ont aidé à porter les sacs jusqu'à l'étage, puis ils m'annoncent leur départ parce qu'il se fait tard.

Le soleil n'est pas encore couché. Je les raccompagne jusqu'à la voiture, avant d'y monter mon frère me dit avec un clin d'œil :

  • Bon courage et amuse-toi bien petite sœur !
  • Pas trop quand même, surtout travail bien et appelle-nous si tu as un problème. Ajoute ma mère.

Lorsque la voiture démarre, je leur fais un signe d'au revoir de la main et je les regarde s'en aller jusqu'à ce que la voiture tourne au bout de la rue. Puis je retourne lentement vers mon nouveau chez moi. Arrivée devant le bâtiment, je m'attarde sur les marches du perron pour regarder les derniers rayons de soleil avant la tombée de la nuit.

Entrée dans mon studio, je m'aperçois qu'on a déposé tous les cartons dans le salon. J'emmène ma valise dans ma chambre et je commence à ranger mes affaires dans l'armoire. Une fois cette tache finie, je dispose quelques-uns de mes livres sur la petite étagère au-dessus de mon lit et le reste dans un petit espace vide de ma table de chevet. Je lève les yeux vers l'horloge, il est vingt heures. Mon portable sonne :

  • Bonsoir Bérénice ! entendis-je derrière l'appareil.

C'est la voix de ma Mère.

  • On vient d'arriver à la maison ajoute-t-elle. Est-ce que tu as déjà mangé ?
  • Non maman, je finis de ranger mes affaires et ensuite je cuisinerai quelque chose de rapide, répondis-je.
  • Ne mange pas trop tard, tu dois apprendre à dormir tôt maintenant parce que c'est le début des cours.
  • Oui maman ! dis-je en roulant des yeux.
  • Bon ! je ne vais pas te déranger longtemps. Je te fais de gros bisous, bonne soirée et bonne nuit !
  • Merci, à toi aussi maman.

Le souci avec ma mère, c'est qu'elle a toujours envie de connaître toute ma vie. Alors je m'attends à ce qu'elle m'appelle chaque jour, ne serait-ce que pour vérifier si je vais en cours. C'est le devoir parental me dirait-on, certes, mais ce n'est pas comme si je ne lui racontais rien.

Après avoir dégagé les cartons du salon, je me sens épuisé alors j'envisage de manger des pâtes pour pouvoir dormir au plus vite. Avant de cuisiner quoi que ce soit, je vérifie que la gazinière fonctionne. J'appuie sur le bouton et le tourne légèrement pour mettre le feu, une flamme bleutée apparaît instantanément. Puis je commence à mettre de l'eau à bouillir. J'apporte mon assiette de pâte dans le salon, j'installe un DVD dans le lecteur et je regarde le diable s'habille en Prada tout en mangeant. J'aime bien cette comédie, peut-être parce que je me sens proche du personnage d'Andy. Elle représente en quelque sorte les personnes qui n'accordent pas une importance vitale à leur look. Même si bien sûr on ne doit pas ressembler à un sac poubelle, tant que l'on est présentable, c'est tout ce qui compte.

Je mets mon assiette dans le levier en me disant que la vaisselle attendra demain. Je prends une douche, me brosse les dents et je m'endors aussitôt.

C'est une sonnerie aigüe et chantante qui me réveille le matin. Je cherche à tâtons le bouton d'arrêt de mon réveil. Je le trouve enfin, j'appuie, mais rien à faire, la musique continue. Je ne comprends pas, puis soudain, j'entends quelque chose vibrer, c'est là que je comprends qu'il s'agit de mon portable. Je sors du lit d'un mouvement nonchalant, et c'est sans surprise que je vois le numéro de ma mère s'afficher sur l'écran. Je regarde l'heure, il est sept heures et demie du matin. D'un air exaspéré, je décroche :

  • Allô !
  • Enfin Bérénice, j'ai bien cru que tu ne vas jamais me répondre ! S'exclame ma mère à l'autre bout du fil. Tu n'es pas encore réveillé ?

Essayant de prendre un ton le plus détaché possible je réponds :

  • Oui maman, tu m'as réveillée et c'est normal que je dors encore, il est encore tôt et je suis fatiguée.
  • Encore trop tôt ! trop fatiguée ! fatiguée d'avoir fait quoi ? me demande-t-elle.
  • Eh bien, d'avoir déménagé, d'avoir rangé mes affaires, tu veux que ça soit pour quoi d'autre ? répliqué-je agacée.
  • Bon, inutile de s'énerver, je veux seulement te rappeler qu'il faut maintenant se lever tôt et apparemment, j'ai bien fait de t'appeler puisque tu n'as pas l'air de le comprendre.
  • Ouiais, Ouiais grogné-je. A par ça, il fait beau là-bas lui questionné-je pour changer de sujet.
  • Oui malgré quelques nuages et chez toi ?

En entendant la pluie marteler mon toit une idée me vient.

  • Ici, il pleut. (J'invente un peu pour qu'elle me laisse) C'est tellement gris que je pense que l'orage menace.
  • Bon alors je te laisse ! Bisous et n'oublie pas de te lever tôt ! (Ouf, ça a marché)
  • Oui ! oui ! aller chao ! bise.

Je raccroche le téléphone de mauvaise humeur. Il n'y a que ma mère qui arrive à me mettre en colère dès le matin. Néanmoins, maintenant son souhait est réalisé parce que je suis parfaitement réveillée. Je me dirige vers la cuisine pour prendre mon petit déjeuner.

Un peu plus tard, je descends au ré-de chaussé pour regarder ma boîte aux lettres. Un courrier de l'université est arrivé. Je commence à l'ouvrir alors que je monte les escaliers, l'enveloppe n'est pas très épais alors je m'attends à un simple courrier de bienvenue. Arrivée au salon, je lis :

« Bonjour Mademoiselle Bérénice Duchamp, nous avons le plaisir de vous inviter à une journée découverte de votre campus le mardi 4 septembre à 10h. Vous serez en petit groupe, accompagné d'un tuteur qui vous fera visiter l'ensemble du campus. »

Cordialement,

Mr X.

Me voilà officiellement étudiante en lettre. Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre à l'université. J'ai regardé quelques conseils sur internet, qui disaient de toujours suivre les cours magistraux même s'ils ne sont pas obligatoires, mais ça ne me suffit pas. J'ai l'impression de voyager en terre inconnue comme lorsque je venais d'entrer en seconde au lycée.

Je ne peux pas m'empêcher de me poser des questions, est-ce que je vais réussir ? Est-ce que je vais tomber amoureuse ? Est-ce que j'aurai des amis (es) ? C'est sur ces deux derniers points que je risque d'échouer le plus. Et je cherche en vain à comprendre pourquoi. Il est vrai que je ne suis pas très féminine, dans le sens où je ne me maquille pas. Et puis j'ai des rondeurs, ce qui n'est pas vraiment favorable à la mode vestimentaire. Je ne sais pas si je suis parano, mais à chaque fois que quelqu'un me regarde, c'est comme si je suis une martienne. Alors je ne peux pas m'empêcher de faire le lien avec mes vêtements. Je me dis que peut-être moi je pense porter des vêtements mais eux ils me voient porter un sac à patate. Cette pensée me fait rire et me détends un peu. Concernant mon caractère, je pense qu'il est un peu rigide. Disons que je suis une fille taciturne, qui a peu de conversation ce qui, j'imagine ennuie fortement mes interlocuteurs. Mais je ne veux pas commencer à me tourmenter pour rien, vu que le ciel s'est un peu dégagé, je pense que je vais pouvoir sortir cet après-midi. Après manger, je me rends au centre commercial.

Il est en pleine rénovation. Je marche le long d'un couloir ressemblant à un tunnel. Je passe devant une boutique de téléphonie mobile, puis je vois les différentes caisses de carrefour apparaître. Je traverse le grand espace laissé pour les passants pour tourner à ma gauche, je me retrouve entre Zara d'un côté et Mango de l'autre, un peu plus loin, je distingue un magasin Jennifer, suivi d'un Mim et un Damart, et en face une parfumerie Sephora, une boutique Claire's et un magasin de chaussures Santa Marina. Un escalator se trouve au centre, je vais à l'étage. Les boutiques sont quasi du même genre que celles du ré-de chaussé sauf la présence d'un espace Apple où les bonhommes sont tous en bleu et d'un magasin boulanger qui d'habitude se trouve à l'extérieur. J'erre pendant environ une heure entre les allers, entrant de temps en temps dans certains magasins. Puis je décide de rentrer parce que la journée découverte du campus est juste demain.

Arrivée chez moi, je regarde un peu la télé, puis je réchauffe dans le four une lasagne. Alors que je suis couchée dans mon lit, je me demande comment va se dérouler la journée de demain. Je me demande si je vais réussir à aborder quelqu'un. J'ai du mal à m'endormir, j'allume ma radio qui émet un fond musical et au bout de quelques minutes, je m'endors.

Chapitre 2

Je me suis levée de bonheur ce matin, je pense que ma mère aurait été ravie de l'apprendre. Je prends donc mon temps pour prendre mon petit déjeuner. Il n'est que sept heures du matin, une faible lueur de soleil éclaircit le ciel. Bonne nouvelle, parce que j'ai peur que la pluie menace étant donné que j'ose espérer que cette visite ne dure pas toute la journée. J'ai le choix entre prendre le bus ou le tram pour me rendre à la faculté, je choisis le tram parce qu'il est le plus rapide aussi bien au niveau du trajet que du temps d'attente dans les arrêts. Je décide de prendre de l'avance ce qui me conduit à arriver sur les lieux une demi- heure plus tôt.

Je sors à l'arrêt Erasme, en face d'un bâtiment où est gravé le mot Gutenberg. Un attroupement d'étudiant se trouve juste devant. Je m'y dirige d'un pas décidé. Ne connaissant personne, je regarde avec le plus de discrétion possible les personnes présentes. Tout d'abord, je ne reconnais personne, puis j'aperçois une fille de mon ancien lycée. Je lui fais signe et je m'approche. Au premier abord, elle a paru contente de me revoir, moi aussi d'ailleurs puisque je ne connais personne d'autre. Je m'aventure donc à lui avouer que je suis heureuse d'avoir trouvé une connaissance. Mais visiblement je me suis trompée, si en ce moment elle me parle, elle m'a fait comprendre indirectement qu'elle n'a aucun désir de sympathiser avec moi. Je l'ai compris lorsque qu'après avoir fait une remarque sur l'importance de connaître quelqu'un dans un lieu inconnu, elle m'a répondu, qu'un lieu inconnu a aussi pour avantage de rencontrer de nouvelles connaissances. Il est vrai que cette phrase ne signifie rien en soi si ce n'est qu'elle a été prononcée avec un ton condescendant. Je suis restée près d'elle pour ne pas paraître impolie et pour qu'elle ne s'aperçoit pas que sa remarque m'a blessé. Mais j'ai compris qu'elle ne souhaite pas ma compagnie.

Pendant ce temps, les minutes restantes se sont écoulées et le nombre d'étudiant a considérablement doublé. Un peu plus tard, les groupes sont formés. Etant quelqu'un de maladroite et peu sûr de moi ce qui en général me conduit à commettre des erreurs, que je ne tarde pas à faire. Je me trompe malheureusement de groupe ce qui crée en moi un vif sentiment de honte qui fait virer lamentablement mon visage au rouge et qui me donne l'air maintenant d'une vraie tomate vivante. Lorsque je rejoins mon véritable groupe, je n'ai pas le courage d'aborder qui que ce soit, je dirais même que je ne regarde personne, j'avance la tête baissée. J'ai seulement constaté que les étudiants ont l'air de déjà se connaître ou alors d'avoir sympathisé rapidement. Et par la même occasion que nous sommes essentiellement des filles.

Il est écrit que cette journée sera un désastre pour moi, parce qu'à peine remise de ma première bourde, une nouvelle mésaventure m'arrive. Alors que je tente de m'acheter une bouteille d'eau dans un distributeur automatique, ce dernier refuse de fonctionner à mon grand désespoir. Et cela juste sous les yeux du tuteur de notre groupe qui me suggère de prendre le numéro juste en-dessous du distributeur afin de pouvoir me faire rembourser.

La visite des lieux est finalement très rapide, les étudiants de lettre n'occupent qu'un grand bâtiment, celui des sciences humaines et lettres. Ce dernier est aussi le bâtiment où se trouve l'administration et dans lequel sont affichées toutes les informations destinées aux étudiants. Les amphithéâtres que nous utiliserons, se trouvent tous dans ce bâtiment, le tuteur fait entrer notre groupe dans l'un d'entre eux. La disposition de la salle ressemble un peu à celle des salles de cinéma, de manière à ce que la personne assise devant ne dérange pas la vue de celle qui est derrière. Puis nous sommes allés voir l'emplacement des restaurants universitaires, suivi d'un bâtiment où l'on a la possibilité de pratiquer le sport de notre choix. Finalement, l'heure du midi est arrivée. Notre guide nous informe qu'il y a ce soir une soirée étudiante pour accueillir les premières années de toutes les filières. Avant de partir, nous devons activer notre carte étudiante dans une salle informatique. C'est seulement là qu'une fille m'aborde. Apparemment, mon manque de compétence en informatique est très visible parce que cette fille n'arrête pas de m'aider pendant tout le processus d'activation.

Un peu plus tard, j'apprends qu'elle s'appelle Tatiana. Avant de se quitter définitivement pour la journée, nous retournons dans le bâtiment de l'administration pour regarder la liste des groupes de Travaux Dirigés.

On nous libère que vers treize heures trente, je profite de l'occasion pour me promener dans le centre-ville. A cette heure, les magasins viennent juste de s'ouvrir après la pause de midi. Je regarde machinalement les passants qui inspectent minutieusement les vitrines. Deux adolescentes se campent devant la vitrine de H&M et semblent se disputer au sujet d'un sac à main. Je marche le pas errant dans la rue piétonne. C'est le début d'après-midi, le soleil est en plein éclat, l'air est chaud et un peu lourd. J'ai beau avoir mis un T-shirt et un short, ça ne m'empêche pas de transpirer. Je sors un mouchoir en papier pour me tamponner le front. Je dirige mon regard un peu partout quand j'aperçois une grande affiche jaune placardée sur le mur d'un « Subway ». Les deux seuls mots que je peux distinguer de là où je suis sont : liquidation et boutique. En m'avançant un peu, je lis « liquidation totale de tous les articles » suivi en dessous de l'inscription « boutique d'antiquité ». Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai envie de m'y rendre. Mais le Subway me rappelle que je n'ai pas encore mangé. Je m'achète en vitesse un sandwich et me rends aussitôt vers la boutique d'antiquité qui par chance n'est pas trop loin. Je mange en chemin.

Je me retrouve dans une petite ruelle dont chaque côté est occupé par de nombreuses et diverses petites boutiques. Je traverse une boutique de vendeur de miel et de pain d'épice suivie d'une autre spécialisée dans la moutarde. En bifurquant vers ma droite, je la vois enfin. Un écriteau noir sur fond or indique : « Boutique d'antiquité ».

La vitrine est poussiéreuse, la même affiche que j'ai aperçue un peu plus tôt est scotchée un peu partout sur les murs. Je me trouve en face d'une grande porte en bois. J'hésite, l'endroit ne me parait soudain pas très sûr, mais ma curiosité l'emporte malgré tout.

J'entre dans un bric à braque d'objet disposé un peu partout dans une immense pièce peu éclairée et dont on ne voit pas l'extrémité. Les seules lumières qui pénètrent dans la pièce proviennent de deux grandes fenêtres. Néanmoins, quelqu'un a pris soin de laisser un petit espace pour permettre de circuler au milieu des objets. La plupart d'entre eux sont de grands meubles de salon anciens, dont parfois quelques-uns contiennent des assiettes en porcelaine où sont peints des motifs végétaux avec à côté les couverts qui leurs sont assortis. En voulant m'approcher pour mieux les voir, j'ai failli heurter trois chandeliers qui se trouvent juste devant mes jambes. En continuant d'avancer, je regarde des vieilles lampes de chevet posées sur des tables. Je retiens mon regard vers deux femmes africaines sculptées en bois, leur corps est entrelacé pour former le pilier de la lampe terminé au bout par une grosse ampoule qui est censée représenter leur tête commune. Je déambule ainsi pendant environ dix minutes, arrivée presque au fond de la pièce, je remarque un coin bibliothèque. De nombreuses piles de livres sont soigneusement disposées les uns à côté des autres, je m'approche instinctivement. La plupart d'entre eux ont pris une teinte jaune du fait de leur ancienneté, les piles du côté gauche sont des romans sauf une pile qui ne contient que des recueils de poèmes et celles de droite sont des bandes dessinées dont la plus grosse partie sont les aventures des célèbres Gaulois Obélix et Astérix avec toutefois une grande pile sur les aventures des petits bonhommes bleus, les Schtroumpf. Je saisis un livre de préférence du côté des romans. Apparemment, c'est un vieux modèle des Trois Mousquetaires de Balzac que je feuillète distraitement, je le repose puis je prends le premier recueil de poème qui me tombe sous la main, il s'agit d'un recueil du XIX -ème siècle. Alors que je tourne une page où figure un poème d'Alfred de Musset vers une autre qui présente un poème de Lamartine, j'ai la sensation étrange que quelqu'un m'observe.

D'instinct, je me retourne et je jette un regard circulaire dans la salle, mais personne en vue. Je reporte donc mon attention vers le livre. Alors que je lis le premier vers du poème le lac de Lamartine, quelqu'un surgit brusquement de nulle part et me fais sursauter de frayeur. Manquant de lâcher le livre, j'émets un léger cri de surprise.

  • Bonjour Mademoiselle ! me dis un homme aux cheveux gris broussailleux tout en me gratifiant d'un large sourire.

Pardonnez-moi si je vous ai fait peur, je vous assure que ce n'était pas mon intention, cru-t-il bon d'ajouter après une minute de pause. C'est que je n'ai plus d'électricité, je ne peux guère compter que sur l'éclairage naturel bien qu'à mon grand désarroi, il n'est pas suffisant. Pour conclure, jeune demoiselle, je m'excuse de vous accueillir dans un lieu si peu accueillant.

Puis ses yeux se dirigent vers le livre que je tiens à la main. Encore sous le choc, je reste bouche bée. Puis, je me ressaisis brusquement et repose le livre à sa place. Pendant ce temps, je remarque que mon étrange sensation d'être observée continue comme si une troisième personne est présente. Depuis l'apparition de l'antiquaire, du moins je suppose qu'il s'agit de lui, j'ai pensé que c'était lui, ce qui me parait logique puisqu'il veut sans doute savoir si je ne suis pas en train de lui voler. Mais non, visiblement c'est une autre personne, ce qui ne me rassure pas davantage. Malgré ma peur qui ne s'est pas totalement envolée, je parviens tout de même à sortir un :

  • Bonjour Monsieur ! d'une voix un peu crispée.

Il reprend cette fois en me tutoyant :

  • Tu peux prendre le livre si tu veux, de toute façon, tout ce qui est ici est gratuit.

Il jette un coup d'œil sur le livre que je viens de poser, constatant qu'il ne voit pas grand-chose, il lève la tête et me regarde tout en farfouillant dans la poche de sa veste. Ses yeux louchent légèrement, je réprime un sourire en pensant qu'il doit me voir double. Il sort une paire de lunette en forme de demi-lune, la place sur son nez et me sourit d'un air satisfait.

  • Intéressant ! murmure-t-il.

Puis finalement, je sors de mon mutisme et je lui demande :

  • Qu'est-ce qui est intéressant Monsieur ?
  • Rien, rien ! me répond-t-il, je suis perdu dans mes pensées.

Après quelques instants à me balancer d'un pied sur l'autre un peu gênée, je finis par prendre congé. Je n'ai pas pris le livre, et il n'a pas insisté.

Je suis maintenant confortablement installée dans mon canapé devant une émission de télé-réalité. Malgré moi, je n'arrête pas de penser à ce que l'antiquaire avait dit : « intéressant » qu'est-ce que ça veut dire ? Et surtout quel est le rapport avec moi ? Par ailleurs, je n'arrive toujours pas à expliquer la présence d'une troisième personne dans la boutique. Après tout, lorsque je suis entrée, le son d'une petite cloche s'est actionné annonçant l'entrée d'une personne, puis c'était le silence total. Ma théorie est que la personne était déjà là, mais alors pourquoi ne l'avais-je pas vu ? Et pourquoi l'antiquaire ne s'en est-il pas inquiété ?

Ça fait un peu trop de question sans réponse. Je regarde ensuite le dernier Harry Potter pour la énième fois avant d'aller me coucher. Je décide de ne pas aller à la soirée étudiante de ce soir. Je n'ai pas vraiment l'habitude des soirées.

Chapitre 3

Je marche le long d'une plage, pour finir par m'assoir et observer l'horizon, de puissantes vagues déferlent sur les rochers. Le vent doux, fait virevolter mes cheveux en arrière et me caresse le visage. Assise tranquillement là, je regarde ce spectacle magnifique. Le seul éclairage provient d'un phare que je peux apercevoir d'ici. En tournant ma tête d'un côté de la plage, une ombre émerge de derrière les rochers, dessinant une silhouette que je n'arrive pas bien à distinguer. La silhouette d'une jeune femme apparaît au bout de quelques instants. Elle porte une robe qui lui arrive jusqu'aux genoux et ses cheveux sont tressés, je la vois de dos. Je me lève promptement intriguée et m'approche tout d'abord lentement, puis comme si elle avait deviné mes pensées, elle se retourne brusquement vers moi et se met aussitôt à courir. Surprise, je cours à sa poursuite tout en hurlant :

  • Attendez !

Elle court visiblement plus vite que moi, mais je tiens bon malgré mes poumons en feu. La distance entre nous devient de plus en plus rapprochée, alors que je m'apprête à l'atteindre, elle tourne soudainement vers un petit tunnel. J'ai voulu lui crié de s'arrêter mais je ne parviens pas à sortir un son de ma bouche tant je suis hors d'haleine. Je n'arrive presque plus à respirer, le souffle court, je m'arrête un instant, je tente de faire quelques pas mais mes jambes ne me tiennent plus. Alors que je suis sur le point de m'effondrer par terre, juste avant que mes genoux touchent le sable, je me réveille en sursaut.

Le cœur battant, je dirige mon regard vers mon radio réveil, trois heures du matin. Encore essoufflée comme si j'ai réellement couru, les mains moites de sueur, je me lève doucement de mon lit pour aller prendre un verre d'eau dans la cuisine. Assise sur une chaise, un verre d'eau à la main, je bois goulûment. Mes yeux sont encore bouffis de sommeil mais je n'ai pas hâte me rendormir. Je reste là, perdue dans mes pensées, puis la fatigue a eu raison de moi et je retourne me coucher.

Ce n'est que tôt dans la matinée, lors du petit déjeuner que je repense de nouveau à mon rêve. Je ne comprends pas ce qu'il veut dire et de toute façon je suis moi-même étonnée de rêver de quelque chose et surtout de ne pas l'avoir oublié. D'habitude, je dors dans un sommeil profond et sans encombre. C'est sans doute à cause de cette histoire avec l'antiquaire et de cette troisième personne dans la boutique. Je passe ma matinée à essayer de remettre de l'ordre dans mes pensées pour tenter de comprendre tout ça. Mais rien à faire, tout me semble confus. Ma seule chance de tout saisir serait de retourner dans la boutique d'antiquité pour questionner l'antiquaire. Néanmoins, je pense que ça peut attendre demain, aujourd'hui, je préfère rester chez moi.

Comme prévu, dès le lendemain matin, je me rends à la boutique d'antiquité. Les affiches jaunes sont toujours collées au mur. Cependant, lorsque je pousse la porte en bois pour entrer, elle ne bronche pas. Je pousse plus fort en espérant qu'il s'agit juste d'une question de pression, mais c'est ce que je pensais, elle est bien fermée. Il ne manquait plus que ça, moi qui espérai tant obtenir des réponses, je suis forcée d'admettre que ça ne sera pas pour aujourd'hui. Je repense aussitôt à ce proverbe que ma mère me disait tout le temps : « Ne remet pas au lendemain ce que tu peux faire le jour-même ». Je souffle d'agacement.

Je fais le tour du bâtiment au cas où il y aurait une autre porte, mais il n'y a aucune autre entrée. Je repars en trainant des pieds, je me retourne pour jeter un dernier coup d'œil, et c'est là que j'aperçois quelqu'un encapuchonné qui me regarde. Cependant, dès que nos regards se croisent, il disparaît derrière un mur. Sans réfléchir je cours à sa poursuite, mais comme je le devinais d'avance, la personne avait disparu. De plus en plus étonnée, je ne sais pas si je dois m'inquiéter, après tout, c'est peut-être un malentendu. Mais tout ça ne peut pas être une coïncidence, l'antiquaire qui se comporte étrangement, une troisième personne invisible dans la boutique, mon rêve d'hier et enfin cet inconnu qui se trouve comme par hasard au même endroit que moi. Un sentiment de panique m'envahit malgré moi, mais en même temps, un autre sentiment cherche à s'exprimer : l'excitation. Il est vrai que c'est angoissant de savoir que quelqu'un me surveille, mais en même temps, j'ai l'impression d'être dans l'un de ces films policiers où une tierce personne, en général, une sorte de détective privé, file quelqu'un pour le protéger d'un malfaiteur. Mais ici, la question est : cet inconnu est-il ou elle le détective privé ou bien le malfaiteur ? Bonne question.

Je marche dans la rue sans destination précise, je tourne vers un aller qui mène à la Fnac. Je vois Tatiana sortir d'un magasin Claire's avec un garçon, j'imagine que c'est son petit ami.

  • Salut ! dis-je en souriant
  • Salut ! me répond-t-telle, tu fais une promenade en ville ?
  • Euh ! oui. Je voulais prendre un peu l'air et repérer les endroits, mentis-je.

Je n'ai aucune envie de lui partager mes aventures bizarres. Et je doute que c'est de cette manière que l'on commence à sympathiser avec quelqu'un. C'est seulement au bout de quelques instants, qu'elle décide de me présenter au garçon qui l'accompagne.

  • Je te présente Jean, mon copain.

Pas de surprise, je l'avais déjà compris. Il porte un grand pullover noir et un jean ultra large également noir qui lui donne un air de gothique ringard. Quant à Tatiana, elle s'est maquillée un peu trop, elle a mis je ne sais combien de couche de fond de teint, du mascara et du crayon noir mais le mascara met en valeur ses yeux verts.

  • Alors la ville de Dijon te plaît ? me demande-t-elle au bout de quelques instants
  • Oui, c'est une jolie ville dis-je. Je n'ai pas envie de m'éterniser là, alors j'ajoute promptement : bon écoute, je suis un peu pressée alors salut et à lundi.
  • OK ! salut, à lundi et bon week-end !
  • Merci, à toi aussi.

Puis je poursuis mon chemin, un peu trop vite peut-être. J'ai hâte d'être seule pour méditer sur ce qui vient de m'arriver. Je veux dire ce qui s'est passé à la boutique d'antiquité. Je passe devant la porte de la Fnac, j'hésite, puis finalement j'entre. Je veux acheter le nouveau livre de Guillaume Musso. Une fois le livre dans mon sac, je me dépêche de rentrer à la maison, il est bientôt onze heures et je dois encore me préparer à manger.

Après avoir mangé de la salade en guise d'entrée, des pommes de terre sauté et du poisson pané en plat principal, je prends un mini glace au chocolat pour dessert. Je m'assois en face de mon bureau, je prends le livre de Musso et je commence à lire. Mais je repense aussitôt à ce qui m'est arrivée ces deux derniers jours. De sorte que je finis par fermer le livre dès la deuxième page.

Qui pouvait bien être cette personne qui m'a suivi ce matin ? Je tente de me concentrer sur mes souvenirs pour me rappeler de n'importe quel détail. Je revois l'image de l'intérieur de la boutique d'antiquité essayant d'estimer depuis quel angle cette personne aurait pu m'observer. Mais malheureusement, la pièce était remplie d'énormes meubles derrière lesquels, n'importe qui pouvait se cacher. Quant à l'inconnu de ce matin, j'essaye de me souvenir s'il y avait dans sa physionomie un indice qui pourrait m'indiquer s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme. Je n'ai pas vraiment eu le temps de bien le regarder de la tête au pied, mais l'image globale de la scène m'est encore familière et fraîche dans la tête.

Pour me faciliter les choses, je vais appeler l'inconnu X, comme en maths. X était légèrement penchée en avant pour bien me voir, et c'est comme ça que je l'ai aperçu. Sa main était posée sur le mur, sans doute pour se tenir en équilibre. J'ai pu voir ses doigts, ils étaient assez long et ses ongles un peu brillants. « Des ongles brillants », mais bien sûr, X avait les ongles brillants parce que X portait du vernis. Ce qui signifie que X est une femme. Contente d'avoir percé un petit peu le mystère, je décide de laisser en suspens le reste pour les autres jours, et je reprends tranquillement ma lecture.

Chapitre 4

Je me prépare en vitesse pour ne pas rater le train. Je dois passer le week-end chez ma mère. J'empile tout dans une mini valise de vacance offerte pour mon anniversaire l'année dernière. Je jette un coup d'œil à l'horloge, sept-heure et demi, zut ! Il faut vraiment que je me dépêche, le train passe à moins dix et je n'ai pas encore acheté mon billet. C'est en courant que je rejoins l'arrêt du tram. Ouf ! Je vois le bout de sa tête qui s'approche, je garde espoir de prendre le train de huit-heure moins dix, sinon je dois attendre une heure pour pouvoir prendre le prochain. Arrivée à la gare, je décide d'acheter mon billet sur l'un des guichets automatiques pour gagner du temps.

Maintenant assise confortablement dans le train, je regarde le paysage au dehors qui défile à toute vitesse. Je farfouille dans mon sac à main à la recherche de mon IPod, lorsque je le trouve enfin, j'écoute turning tables d'Adèle. Ecouter de la musique a le pouvoir de me m'être de bonne humeur et de me sentir libre. Je rêve tranquillement durant une bonne partie du voyage jusqu'à ce que le contrôleur interrompe ma rêverie pour vérifier mon billet. Puis mon téléphone vibre. Pensant qu'il s'agit de ma mère qui m'avertit qu'elle ne viendra pas me chercher, je commence à souffler. Mais ce n'est pas ma mère. C'est mon amie Laurie. Elle me propose d'aller en ville cette après-midi. Je souris et lui envoie une réponse affirmative.

Le voyage dure environ une heure et quart. Ce train va à destination de Lyon Part-Dieu, mais je dois m'arrêter à Mâcon. La conductrice du train annonce l'entrée en gare de Mâcon ville. Je me lève et retire ma valise du porte-bagage. Je me dirige vers la porte de sortie et attends que le train s'arrête complètement.

Ma mère patiente dans le hall de la gare, arrivée à sa hauteur, elle me propose de porter mon bagage mais je lui fais non de la tête. On n'habite pas vraiment à Mâcon mais dans un petit village qui s'appelle Pont-de-Vaux, c'est à environ une demi-heure de Mâcon en voiture.

Connaissant ma mère, elle va me questionner sur tout ce qui s'est passé durant ma semaine. Il est bien sûr hors de question de lui parler de la femme ou de la fille qui m'a suivi, elle va paniquer sur le champ, et elle serait capable d'appeler la police. Les réactions de ma mère sont parfois imprévisibles.

  • Tu as passé une bonne semaine ? J'espère que tu as réussi à te lever tôt. Commence-t-elle
  • Oui, t'inquiète, le message est bien reçu, je me lève tôt depuis que tu n'arrêtes pas de m'appeler tous les matins, sinon oui c'était une semaine agréable.
  • Oui, il faut que je t'appelle parce que sinon tu ne t'exécute pas alors il faut bien que je fasse quelque chose.

Désirant changer de sujet, je me rappelle que Laurie vient de m'inviter.

  • En fait, Laurie m'a proposé d'aller en ville tout à l'heure, est-ce que tu pourras m'y emmener en voiture ? s'il te plaît ajouté-je promptement.
  • En ville ! en ville où ? A Mâcon ?
  • Oui à Mâcon.
  • Ah non ! Bérénice tu exagères, je suis déjà venu te chercher à la gare, je ne vais pas faire un va et vient toute l'après-midi. Ecoute, si tu veux y aller, tu prendras le bus.

Réponse prévisible, mais je voulais quand même tenter ma chance.

J'ai dû manger rapidement pour ne pas rater le bus de treize heures. Laurie et moi avions rendez-vous au café des Arts, un petit café qui se trouve le long du quai Lamartine. Le bus me dépose à la gare routière, il me reste donc un petit bout de chemin à faire avant d'y arriver. On s'est donné rendez-vous à quatorze heures. Je me dépêche de longer la rue Gambetta, arrivée au bout, je tourne à gauche pour longer les quais. J'arrive pile à l'heure, mais comme je m'en doutais, mon amie est déjà là. Elle est assise à l'une des tables sur la terrasse. Sa chevelure blond vénitien détachée le long de son dos luit à la lueur du soleil. Elle porte une robe verte à manche courte laissant voir ses épaules dénudées. Ses chaussures sont transparentes, de sorte que l'on peut admirer ses pieds parfaitement manucurés. Ça me donne l'impression qu'elles sont faites en verre. Ce sont des chaussures à talon compensé. Le talon est de couleur vert assorti à la couleur de sa robe. Je souris à mon reflet sur une vitre d'un magasin, l'air crétin. Moi, j'ai opté pour un T-Shirt bleu marine et un jean gris et des converses en guise de chaussure. Rien d'audacieux comme d'habitude, je déteste mettre des robes ou des jupes, encore moins des chaussures à talon. En m'apercevant arriver, elle m'adresse un sourire radieux. Elle ôte ses lunettes de soleil, regarde mes vêtements d'un œil désapprobateur et me lance un :

  • Bonjour ma belle ! tu n'as pas trop chaud avec ton Jean ? Me questionne-t-elle aussitôt
  • Non, ça va ! mentis-je (en réalité j'ai hyper chaud !)

Je lui souris et m'assois en face d'elle. Un serveur vient aussitôt prendre la commande, Laurie prend un cocktail fruité et moi une Monaco.

  • Excuse-moi mais tu étudies Art ou Lettre à Dijon ?
  • Lettre ! répondis-je un peu piquée qu'elle ne s'en souvienne pas.
  • Ah oui, excuse-moi mais j'avais un doute, j'ai dû confondre avec Lucile vu qu'elle a intégré une école d'Art à Besançon.

Lucile, ma bête noire. Laurie est ma meilleure amie depuis l'enfance. Mais depuis qu'elle a fait connaissance avec Lucie en seconde, je ne compte plus que pour du beurre. Je sais qu'elles se voient beaucoup même si Laurie ne me le dit pas. Je ne suis pas contre l'idée que Laurie a le droit d'avoir d'autres amies mais son indifférence à mon égard une fois qu'elle a rencontré Lucile m'a beaucoup blessé. D'autant plus qu'à chaque fois qu'elle voulait partir faire la fête en boîte, c'était moi qui la couvrait. Elle devait venir dormir chez moi puis quand mes parents dormaient, l'un de ses copains venait la chercher en scooter. Evidemment, moi je n'étais pas invité même si de tout façon je ne serais pas allée. Laurie interrompe mes réflexions en m'annonçant qu'elle a un nouveau copain. Le millième, je ne peux m'empêcher de penser. Faignant l'enthousiasme, je m'exclame :

  • Ah ouais ! c'est cool, il s'appelle comment ?
  • Paul
  • Et il est dans la même école que toi ?
  • Non, il étudie dans une école de commerce. D'ailleurs il va venir là, ça ne te dérange pas ?

Super, moi qui pensais qu'on va passer une après-midi tranquille entre amie, voilà que je vais tenir la chandelle à deux amoureux. En essayant de ne pas prendre un air déçu, je lui réponds que non ça ne me dérange pas. Le garçon en question arrive à peine un quart d'heure après moi. Comme tous les couples, ils n'ont pas arrêté de se bécoter tout le temps, ce qui évidemment a l'art de gêner l'autre personne qui est là, c'est-à-dire, moi. Malgré mes tentatives d'engager une conversation, impossible, les bisous, bisous restent les rois. Au bout de ce qui me paraît une éternité, je fais semblant de jeter un coup d'œil sur mon portable sous prétexte d'avoir reçu un sms mais en réalité c'est pour regarder l'heure. Ouf ! Seize heures et demie, parfait, je peux partir et prendre comme prétexte le bus qui passe à cinq heures.

  • Bon écoute Laurie, ça a été une super aprèm (mensonge), mais je dois m'en aller, il y a le bus qui va passer.
  • T'es venue en bus ?
  • Oui !
  • Tu n'as pas encore le permis ? Tu sais que certaines auto-école propose le permis à un euro ! m'informe-t-elle
  • Je vais y penser ! Bon ben, à plus !
  • Chao !!

Son lover Boy lui se contente de me sourire, j'en fais autant. En longeant les quais dans le sens inverse, je tente de marcher normalement pour ne pas paraître un peu trop pressée de partir. De sorte que j'arrive devant la gare routière cinq minutes avant l'arrivée du bus, ce qui m'arrange puisque ça veut dire que je ne vais pas poiroter très longtemps. Chez certaines personnes, le fait d'attendre les poussent à observer ce qui les entourent, les magasins par exemple, mais moi je préfère rester dans mes pensées, c'est à la fois mon défaut et ma qualité. Je pense à la personnalité très affirmée de Laurie, c'est sans doute d'ailleurs pour ça qu'elle a choisi d'étudier le journalisme.

L'arrivée du bus chasse ma mauvaise humeur. J'ai bon espoir qu'à la faculté, je ne marcherai plus dans l'ombre de quelqu'un. Je vois à ma droite le grand parc avec le lac au milieu, on est bientôt arrivé. Le trajet du retour me paraît plus court que celui de l'aller, c'est peut-être parce que je suis plus détendue.

La soirée se déroule tranquillement. Le lendemain, mue par un étrange sentiment de mélancolie, je pars vers un air de jeu pour enfant non loin de chez moi et choisis de m'assoir sur une vieille balançoire. Je me balance d'avant en arrière, la tête levée vers le ciel, bercée par la chanson breathe me de Sia.

Je prends le train de treize heures. Une fois arrivée dans mon studio, je dépose ma valise dans ma chambre, me dirige vers le salon et m'affale sur le canapé. Soudain, une idée me traverse l'esprit, et si je retourne à la boutique d'antiquité, après tout, elle doit encore être ouverte puisqu'aujourd'hui est son dernier jour d'ouverture. J'enfile rapidement une veste, regarde l'heure sur mon portable, il est presque quinze heures, je prends mon sac à main et sors aussitôt. Je traverse le centre-ville assez aisément puisqu'il n'y a pas grand monde dans la rue étant donné que l'on est dimanche après-midi. Je marche de nouveau le long de cette petite ruelle en songeant à la dernière fois que j'y ai mis les pieds. Machinalement, je regarde aux alentours s'il n'y a personne, ne voyant personne dans les parages, je me sens soulagée.

Une fois devant la boutique, je redoute qu'elle soit encore fermée comme la dernière fois. Je pousse néanmoins la porte et constate qu'elle s'ouvre, accompagnée de la douce sonnerie de la clochette. La pièce est toujours aussi sombre, cependant, je remarque qu'il y a moins d'objet. Il ne reste apparemment plus que de grandes armoires, quelques tables basses et des chaises en bois. Je me demande qui a bien pu prendre les autres articles. Je me dirige vers le coin bibliothèque, là aussi il y a moins de livre. Je m'attends à tout instant à voir l'antiquaire surgir de nulle part mais pourtant il ne vient pas. J'aperçois en bout de table l'exemplaire de Balzac. J'effleure du bout des doigts les lettres dorées de sa couverture. Je m'impatiente, l'antiquaire n'est toujours pas là, pourtant si je suis ici, c'est bien pour le voir. Je n'ai toujours pas réussi a trouvé une explication logique sur les évènements de ces derniers jours. Espérant encore le rencontrer, je m'attarde encore un peu, puis trouvant l'attente interminable, je ressens à la fois de l'exaspération et un sentiment d'agacement croissant. L'antiquaire ne peut pas être aussi négligent, combien même les articles de sa boutique sont tous gratuits, il ne devrait pas la laisser sans surveillance.

En allant au bout de la rangée, je vois une porte. Poussée par la curiosité, je m'approche et tourne le poignet. Je m'attends à ce qu'elle soit fermée, mais à ma grande surprise, elle s'ouvre. Un long corridor sombre s'offre à moi, malgré la sobriété du couloir je perçois une silhouette. Sans réfléchir, je m'y engage. Je regarde par terre tentant en vain d'adapter mes yeux dans le noir pour me repérer. En levant ma tête, la silhouette a disparue, je me retourne et je vois la porte légèrement entrouverte. Je me trouve à peu près à mi-chemin entre la porte et l'endroit où se trouvait la silhouette. Soudain, prise de panique, je cours rejoindre la porte, l'adrénaline causée par la peur me fait penser que la porte s'est refermée et que désormais, je suis prisonnière. C'est avec soulagement que je constate que rien de tel ne s'est produit. Je sors et referme aussitôt la porte de peur que quelqu'un ne m'ait suivi.

Il n'y a toujours personne dans la boutique. Je ne comprends rien. Si c'est l'antiquaire, pourquoi jouer à cache-cache avec moi ? Au fond, je viens de saisir que c'est finalement une erreur de ma part d'être revenu puisque je me retrouve avec plus de question que de réponse. C'est en titubant un peu que je rejoins la sortie, en longeant la bibliothèque je ne calcule pas bien la largeur du passage et je me cogne violement sur un bout de table du côté gauche de mon abdomen. Je retiens un cri de douleur sans pour autant pouvoir m'empêcher de me plier en deux. J'entends un petit bruit sourd proche de moi, sans me décider à tourner la tête pour en connaître l'origine. Mon sac à main tombe de mon épaule, je le retiens en pliant mon avant-bras. Mon cerveau tout entier est occupé par la douleur qui s'est répandue sur mon ventre. J'ai du mal à avancer, au bout de quelques minutes je parviens tout de même à me retrouver dehors. Je me mets sur un côté de la porte et m'assois par terre en espérant que la douleur va passer. J'attends environ une dizaine de minutes avant de me relever. La douleur s'est plus ou moins estompée.

Je retourne lentement au studio, une fois arrivée, je vais dans la cuisine. N'ayant pas la force de soulever une chaise, j'en tire une bruyamment en faisant crisser le sol. Je me souviens avoir placé un petit baume antidouleur dans un des tiroirs proches de moi lors du déménagement, mais je ne me rappelle plus lequel. Je tire au hasard, celui du milieu, apparemment c'est le bon. Le bouchon d'un petit tube blanc sort du tiroir, à côté d'une boîte de doliprane. J'en étale abondamment sur le côté où se trouve l'hématome qui maintenant a pris une couleur violacée en massant légèrement ce qui m'arrache presqu'à chaque fois une grimace. J'en profite pour prendre un comprimé de doliprane dans l'espoir de faire passer rapidement la douleur.

Finalement, ce qui m'a semblé être une petite aventure sympa est devenu un vrai cauchemar. Dans la soirée, épuisée par ma mésaventure, je me prépare un sandwich que je mange avidement et je vais aussitôt me coucher.

Chapitre 5

J'ai dormi jusque tard dans la matinée. Malgré cela, j'ai quand même des courbatures un peu partout. La douleur n'est plus aussi vive qu'hier mais je dois prendre soin de ne pas faire de gestes brusques. Je regarde par la fenêtre, beaucoup de nuages, mais pas de pluie, ce qui m'inquiète c'est le vent qui fait trembler les branches des arbres. Je suis contrainte de mettre une robe, parce qu'il est hors de question que je serre mon ventre encore douloureux avec une ceinture. Ma blessure me fait fonctionner au ralenti de sorte que j'ai raté le petit déjeuner au profit d'une bonne douche. Je n'ai pas très faim, alors en guise de déjeuner, je me contente d'une soupe au légume. Avant de m'en aller pour de bon, je reviens dans ma chambre pour me regarder dans le grand miroir collé à mon armoire. J'ai serré mes cheveux en une queue de cheval, bravo ! Me félicite ma conscience, puisque d'habitude j'enferme mes cheveux dans un traditionnel gros chignon. Et ma robe noire n'est pas mal du tout, un peu trop large peut-être, mais je l'ai choisi exprès pour cacher mes rondeurs. Verdict, je suis tout à fait habillée convenablement. Enfin, selon moi !

J'aimerai dire que je suis une fille cool, qui maîtrise la situation, mais ce n'est pas vrai. J'ai toujours cette peur bleue d'être en retard, de sorte qu'à chaque fois, même quand j'étais au lycée, je me trompe tout le temps d'heure. Et fidèle à elle-même, cette peur panique ne m'abandonne pas depuis le déjeuner. Je quitte mon studio environ une heure avant le début de mon premier cours de Travaux Dirigés. J'ai du mal à trouver la salle, une fois devant la porte, je ne sais pas pourquoi, mais terrifiée par l'idée d'être en retard, Je frappe à la porte et je me retrouve à assister à la fin du cours du groupe sept. Je pense que l'enseignante me prend pour une cinglée, parce qu'évidemment, je ne peux pas partir puisqu'il faut que je sois présente pour mon cours. Il s'agit d'une certaine Madame Gallon.

Elle nous parle des auteurs classiques Français ainsi que des œuvres clés qui ont traversé les siècles derniers. Puis comme dans le groupe précédent, vers la fin de l'heure, elle demande aux étudiants de se diviser en petit groupe et de choisir un auteur pour en faire un exposé oral. J'ai du mal à me caser dans un groupe. J'opte pour la stratégie d'attendre que tous les groupes se forment pour savoir lequel n'est pas encore complet. Je vais donc faire un exposé sur Emile Zola avec deux filles nommées Ninon et Olga. Ninon est une blonde qui affiche un air snobinard. Elle porte de grande paire de lunette Chanel qui fait ressortir son regard hautain posé sur moi et qui me dévisage de la tête au pied d'un air de dire « moi ! Je vais devoir travailler avec cette fille-là ». Visiblement, elle et Olga semble avoir déjà fait connaissance puisque cette dernière semble vouloir la suivre comme son ombre. Des deux, je ne réussis qu'à parler avec Olga. Une fois que chaque groupe s'est inscrit sur la liste que madame Gallon a donnée, le cours est terminé.

Je tente en vain de ranger rapidement mes affaires, je n'ai jamais compris comment font les autres pour ranger et sortir aussi vite. A chaque fois, je me retrouve toujours la dernière dans la classe. Evidemment, ni Olga ni Ninon ne m'ont attendu, pourquoi t'attendrait-elle raille ma conscience ? Ma morosité me fait descendre les escaliers d'un pas trainant. Je traverse le couloir menant vers la sortie, je cherche au fond de la poche de ma veste mon portable pour regarder l'heure. Il est quatre heures et quart.

  • Bérénice ! Appelle quelqu'un derrière moi. Je me retourne et Tatiana me sourit.
  • Salut ! Ça va ?
  • Oui, ça va et toi ? (Vu la tête que je fais en ce moment, je pense que sa question n'est pas anodine.)
  • Oui, ça va, j'ai juste un peu mal au ventre. Ce qui n'est pas vraiment un mensonge puisque des picotements émanent de l'endroit où je me suis cognée.
  • Ah ! Et qu'est-ce que tu as ? Me questionne-elle.

Question que je redoutais ! et puisque je ne peux pas lui expliquer la raison exacte, je réponds :

  • J'ai mes règles.
  • Problème de fille ! je connais ça. Tu viens d'avoir un cours de littérature française ? me demande-t-elle au bout de quelques instants.
  • Oui, j'ai assisté au cours de Madame Gallon et toi tu as qui comme professeur ?
  • Moi j'ai Madame Guilbert.

Nous marchons en silence, nous sommes maintenant arrivées au parking de l'université.

  • Je te dis au revoir ici, m'annonce Tatiana. Je vais prendre mon bus de l'autre côté.
  • OK à plus ! bonne soirée !
  • Merci, à toi aussi !

Je me dirige lentement vers l'arrêt du tram. Heureusement, je n'attends pas trop longtemps, il arrive juste deux minutes après moi. J'ai hâte de rentrer. Je me sens fatiguée et un peu déprimée. J'arrive enfin à la maison, je jette mon sac quelque part dans le salon, puis je m'allonge sur le canapé, je ferme les yeux et je me concentre sur ma respiration. La respiration abdominale ravive la douleur, je pose une main sur mon ventre et le caresse en faisant un mouvement circulaire. Je suis incapable de dire combien de temps je suis restée là, mais ça m'a fait du bien.

Lorsque j'ouvre enfin les yeux, je constate qu'il fait noir dans la pièce. La lumière du réverbère au dehors passe à travers la fenêtre. Je me lève lentement pour allumer la lumière, puis je vais vers la fenêtre pour fermer les volets. Je regarde machinalement l'heure, dix-neuf heures trente. Je vais dans la cuisine en regardant mon portable, zut ! Deux appels manqués de ma mère. Ça va barder quand je vais l'avoir au téléphone la prochaine fois. Et tout ça parce que j'ai oublié d'enlever le mode silencieux de mon portable.

Je farfouille dans le frigo, à force de chercher, j'ai les mains gelées. Finalement, je déniche un concombre qui n'a pas l'air trop mal en point. Je sors un bol, la planche à couper et un couteau pointu. J'épluche le concombre rapidement, je le découpe en petite rondelle et dans ma hâte de vite finir, la taille de mes rondelles est un peu épaisse et difforme. Je verse les concombres dans une passoire pour les rincer dans le levier. Peu après, j'entame la vinaigrette, en rassemblant le tout dans le bol que j'ai sorti pour mélanger. Je m'efforce de ranger tous les ustensiles utilisés en les regroupant dans le levier pour les nettoyer après manger.

J'emporte mon bol rempli de concombre dans le salon. J'ai lu dans un magazine de santé que la meilleure façon de ne pas grossir, c'est de manger lentement et de ne pas boire pendant le repas pour ne pas surcharger l'estomac. Je mastique le plus lentement possible même si je pense que je suis loin du compte, mais d'après les spécialistes, ça prend du temps. Je dois juste ne pas perdre patience. En tout cas, je tente le tout pour le tout, même si je sais parfaitement que la patience n'est pas mon truc. C'était mon problème quand je devais prendre des comprimés brûle graisse. Le traitement dure deux semaines, même si les fabricants préfèrent mettre sur les boîtes le nombre de jour, la plupart du temps quatorze jours. Une durée que je ne parviens jamais à respecter. Je m'arrête toujours à la fin de la première semaine en pensant que de toute façon ça ne fonctionnera pas.

J'allume la télé, je tombe sur TF1, un épisode de Joséphine ange gardien vient juste de commencer. Je le regarde machinalement. Quand j'ai enfin fini de manger, l'épisode est terminé et un petit onglet annonce qu'un autre épisode va suivre. Mais l'horloge affiche presque vingt-deux heures alors j'éteins la télé et je me rends dans la cuisine. Je fixe le levier en me demandant si je vais faire la vaisselle, après un moment d'hésitation, je prends mon courage à deux mains et je me mets activement au travail pour ne pas perdre de temps. Je rejoins ma chambre une demi-heure plus tard. J'enfile en vitesse mon pyjama puis je m'allonge sur le lit en pensant que je vais avoir du mal à m'endormir. Mais curieusement, à peine ai-je posé ma tête sur l'oreiller que le sommeil me gagne aussitôt.

Je cours. Je ne sais pas trop si je fuis ou si je poursuis quelqu'un. L'endroit dans lequel je me trouve est sombre, je ne peux pas voir à plus d'un mètre devant moi. C'est un endroit fermé. Je tends mon bras vers ma gauche et je grimace en m'écorchant les doigts sur une paroi dure et pointue. Un mur de rocher. Malgré cela, je tends également mon bras droit et cette fois, je rencontre le vide. Je suis en train de courir entre un espace vide et un mur de rocher. J'essaie de ne pas penser à la distance qui me sépare du vide. Pour y parvenir, je me concentre sur l'écorchure de mes doigts, qui maintenant a pris un couleur rouge vif. Je m'arrête de courir, une décision qui me paraît judicieuse pour éviter de tomber, étant donné que l'attraction du vide m'attire et me donne la nausée. Je jette un regard aux alentours, espérant apercevoir de la lumière ou une éventuelle sortie. Rien. Il semblerait que les ténèbres veulent m'engloutir. J'ai beau me rendre compte qu'il doit s'agir d'un rêve, et que je peux me réveiller à tout instant, bizarrement je n'ai aucune envie que ça s'arrête. Je veux connaître la suite, je veux savoir ce que recherche mon inconscient à travers ce rêve. Je me tiens debout malgré mes genoux tremblants, un effet du vertige ou de la peur je ne sais pas, un mélange des deux peut-être. Jusque-là je n'ai pas remarqué un bruit, je n'entends que mon souffle et le battement irrégulier de mon cœur. Je reste plantée là jusqu'à ce que mon attention soit attirée par un bruit à quelques mètres devant moi. A priori, je reconnais un bruit de pas. Ma première réaction est d'arrêter de respirer, puis je me rends compte que c'est ridicule. Je me redresse de tout mon corps, puis je pose une main sur le rocher pour me guider. J'avance prudemment en tentant de faire le moins de son possible, les oreilles aux aguets. Le bruit de pas est de plus en plus proche, puis soudain plus aucun son de nouveau, mais cette fois j'aperçois une silhouette de dos, qui me paraît familière, des cheveux tressés, une robe qui arrive jusqu'aux genoux, sans crier gare l'image de mon premier rêve me revient. Je comprends qu'il s'agit de la même fille. Je m'approche doucement, elle ne bronche pas, peut-être qu'elle ne m'entend pas, je continue d'avancer. Je ne suis plus qu'à quelques centimètres d'elle, je tends la main pour lui toucher l'épaule. Une douleur aigüe me transperce les côtes et me réveille. Je tiens mon ventre des deux mains en grimaçant. J'essaie de ne pas bouger pour ne pas répandre la douleur. Le réveil affiche minuit et demie. Respirer à plein poumon accentue la douleur alors je respire par petite bouffée d'air. Il me faut rassembler tout mon courage pour me lever et me rendre dans la cuisine pour prendre un cachet de doliprane. Tout mon corps est tendu. Je retourne m'allonger dans mon lit. Je reste quelque temps les yeux ouverts puis peu à peu, je m'endors d'un sommeil profond.

Chapitre 6

J'entends un fond musical. Bizarre, je ne me rappelle pas avoir mis de la musique hier soir. En me concentrant un peu, je reconnais la chanson someone like you de la chanteuse Adèle. Je tourne la tête pour voir le radio réveil, il affiche six heures du matin, c'est là que je comprends que la musique provient de lui. Je tends la main vers le bouton d'arrêt en songeant que c'est encore un peu tôt. Je me réveille brusquement et ma première réaction est de regarder l'heure, sept heures et demie. Merde ! Je bondis hors du lit en pensant que je ne vais pas avoir le temps de prendre mon petit déjeuner. Aujourd'hui, je commence à neuf heures. J'ouvre mon armoire et j'embarque tout ce qui me tombe sous la main. Puis, j'emporte le tout dans la salle de bain et en un rien de temps je suis sous la douche.

En y sortant, je tire une serviette de bain suspendue sur un crochet au-dessus de la porte. Tout en m'essuyant, je me tourne vers les vêtements que j'ai saisis à la hâte. Je les inspecte d'un œil critique, j'ai pris un jean bleu délavé et une chemise rouge cerise. Pendant un instant, je me demande si ces deux couleurs vont ensemble, puis je me dis que ce n'est pas le moment de penser à ça. Je commence à enfiler rapidement mes sous-vêtements, puis je mets le haut rouge mais je ne suis pas décidée à porter le jean, alors j'enroule ma serviette de bain autour de ma taille et je sors. Je me dépêche de prendre un jean noir dans mon armoire. Une fois habillée, je jette un coup d'œil à mes cheveux, faute de ne pas avoir d'idée fantaisiste, je les enroule pour en faire un chignon. Encore ce satané chignon ! me gronde ma conscience désapprobatrice. Mais hélas, je n'ai pas le temps pour une autre coiffure. Heureusement que je ne ressens plus de douleur abdominale, je suis contente que le doliprane soit aussi efficace. N'empêche, je soulève ma chemise pour vérifier. Je constate avec satisfaction que mon bleu a diminuée mais n'a pas complètement disparu. A mon avis, la tension qu'a subie mon corps hier soir a provoqué une crampe. Je regarde l'heure, huit heures et quart. J'ai peut-être le temps de manger des petits biscuits et boire un verre de jus de fruit en guise de petit déjeuner. Je hoche la tête comme pour approuver mon idée. Mais avant, je prends mon sac de cours, j'empile à l'intérieur un trieur rempli de feuilles blanches, puis ma trousse. Je ferme le sac, et l'emporte avec moi dans la cuisine.

J'ouvre le frigo à la recherche d'un jus de fruit, je mets un petit moment à penser à regarder au niveau du coin où l'on range les bouteilles. Je le saisis et verse du jus de fruit dans un verre qui se trouvait par là. Je bois le tout d'un coup sec. Je sens le liquide traverser ma gorge et du bout de la langue le goût de plusieurs fruits différents. Je reconnais la mangue, mélangé à de la papaye et de l'orange. Je prends un essuie-tout pour m'essuyer la bouche, puis j'ouvre l'un des placards pour s'emparer d'une boîte de biscuits. Je pense que je n'ai plus le temps de le manger ici, l'heure me le confirme, huit heures trente-cinq. J'enfile une veste, puis je me dirige vers la sortie.

J'arrive à la faculté dix minutes après. Je me dirige vers le bâtiment des sciences humaines et lettres. J'ai cours dans l'amphithéâtre Proudhon, mais il me reste à le trouver. Il se situe au fond du couloir où est toujours affiché les groupes de TD. Je presse le pas, quelques étudiants sortent d'une ouverture qui se trouve juste à gauche de la porte d'entrée de l'amphithéâtre. En ouvrant la porte, je m'aperçois que l'ouverture est en réalité l'entrée des toilettes.

J'entre enfin dans l'amphi, je me rends compte qu'il est assez petit par rapport au premier que j'ai vu le jour des visites. Il est neuf heures moins cinq, le cours ne va pas tarder à commencer. Il y a trois rangées, une à ma gauche, une au milieu et une à ma droite. Je choisis de prendre place vers la rangée de gauche. Je me dirige à peu près au milieu de la rangée, pas trop vers les places arrière mais pas à celles de devant non plus. Je m'assois en bout de table, juste à côté des escaliers pour ne pas devoir attendre les autres avant de pouvoir partir à la fin du cours. Mais cette tactique n'est pas aussi efficace qu'elle ne paraît. En effet, je dois me lever à chaque fois pour permettre aux autres étudiants de s'assoir sur la même ligne que moi. Trois filles, une rousse, une blonde et une brune viennent de me déranger pour trois places vers le mur. Elles rient bruyamment, mais impossible de savoir le sujet de la rigolade puisque le brouhaha de la salle est trop fort. Je regarde devant moi, je vois une touffe de cheveux blond, je pense que c'est celle de Tatiana. La fille en question se retourne brusquement et nos regards se croisent. C'est bien Tatiana, je lui adresse un signe de la main, elle fait de même. Puis elle prend ses affaires et monte en vitesse les quelques marches qui nous séparent, parce que le professeur est déjà là. Je me décale d'une place pour lui laisser la mienne. Elle s'installe rapidement puis nous regardons le professeur. Un micro est posé juste devant lui. Il le tapote du bout de son index, sans doute pour vérifier le son mais également dans le but de réclamer le silence, qu'il obtient au bout de quelques instants. Il se présente brièvement en nous informant de son nom, à savoir M. Chagnon.

La littérature mondiale est abordée sous forme de corpus. En effet, M. Chagnon, nous présente une série de texte d'auteurs de nationalités différentes mais dont le thème est le même pour tous les textes. Parmi les douze auteurs proposés, je ne reconnais que les textes de Rousseau et de Stevenson. Nous aurons une pause qu'après deux heures de cours. Au bout d'une heure et demie de prise de note, je commence à avoir sérieusement mal au poignet tellement le rythme est rapide.

J'accueille le temps de la pause avec soulagement, je pose mon stylo et me masse le poignet droit avec ma main gauche. Je regarde Tatiana du coin de l'œil. Elle est déjà en train de surligner les éléments importants du cours. Moi, je n'en ai pas le courage. Je lève la tête et observe la salle. Depuis que la pause a été annoncée, certains étudiants se sont réunis pour discuter entre eux. Certains se racontent des blagues et leur rire joyeux se distingue du brouhaha, d'autres préfèrent échanger à propos du cours, un groupe d'étudiant forme un cercle, chacun apportant ses notes de cours. L'une des filles parle plus que les autres, à mon avis c'est celle qui explique le cours. Je continue mon inspection quand mon regard tombe sur l'un des rares garçons de ma promotion. Brun, pas très grand mais élégamment habillé. Je me souviens de m'être promise avant d'entrer à l'université de ne pas penser aux garçons durant mes études. Mon regard s'attarde sur lui, un peu plus que nécessaire. Il tourne soudainement la tête vers moi comme s'il avait deviné mes pensées. Confuse, je détourne aussitôt mon regard. Je donnerai cher pour connaître ne serait-ce que son prénom. Mais tel que je me connais, je n'oserai pas m'approcher de lui. Je m'autorise à rêver un peu, ce qui m'empêche de me concentrer durant le reste du cours. La dernière heure passe encore plus vite que je l'espérai. Ma conscience tente de me réprimander en me rappelant sans cesse la promesse que je me suis faite. Mais comment résister ou ignorer ce papillon dans mon estomac ? Et c'est avec une pointe d'envie et peut-être même de jalousie que je regarde un couple s'embrasser et se diriger vers la sortie. Moi aussi, j'aimerai savoir ce que ça fait d'avoir les lèvres de quelqu'un posées sur les miennes. Tatiana me tire de ma rêverie en me parlant.

  • Tu manges où ? Me questionne-t-elle
  • Je ne sais pas, dis-je franchement
  • Si tu veux, on peut manger au restaurant universitaire, me propose-t-elle

Je réponds oui, sans trop de conviction. Je crois que mon cerveau est encore déboussolé par le garçon. Le restaurant universitaire n'est pas loin du tout. Il suffit de traverser les rails du tram et le resto U est juste en face. Je vois d'ici la file d'attente et elle promet d'être longue. Tout en marchant, je demande à Tatiana s'il est possible de payer en espèce, elle m'assure que oui.

Une fois à l'intérieur, il y a en effet une longue file d'attente. Mais à ma grande surprise, le restaurant a un étage. Tatiana m'informe que l'étage est consacré uniquement aux pizzas. Si un étudiant veut manger plus varié et surtout plus équilibré, il a intérêt à manger au ré de chaussé. Après un moment d'hésitation, on finit par choisir de manger une pizza. Une fois arrivée à l'étage supérieur, je remarque que la file d'attente est plus petite et qu'elle avance plus rapidement. Quelques instants plus tard, nous sommes assises sur l'une des grandes tables de la salle, proche d'une fenêtre. Une magnifique vue du campus s'offre à nous. Je fixe mon assiette, la pizza qui est posée dessus est trop grande pour tenir entièrement à l'intérieure. Je mange avec précaution. Je suis presque sûr que je vais me tacher. Les rires joyeux d'un groupe d'étudiant parviennent jusqu'à nous. J'ai l'habitude de manger en silence et apparemment Tatiana n'a pas plus de conversation que moi. Miracle, je ne me suis pas tachée et mon plateau ne s'est pas renversé. Avant de franchir la porte de sortie, un grand Ours me tend un flyer.

Une fois dehors, en marchant lentement, j'apprécie la chaleur du soleil sur ma peau, une brise me décoiffe et je repousse une mèche de cheveu derrière mon oreille. Il ne reste plus qu'un quart d'heure avant le début de mon prochain cours. C'est aujourd'hui que je vais faire mon exposé sur Emile Zola avec Olga et Ninon. Je n'ai jamais aimé les exposés, je me sens toujours mal à l'aise face aux regards des autres. J'espère qu'ils seront trop occupés à prendre des notes.

J'essaye tant bien que mal de lire mes notes en levant les yeux de temps en temps vers la classe, tout en essayant de ne pas faire trembler ma voix. Deux objectifs particulièrement difficiles. Je tente de regarder le mur au fond de la classe, ça donne l'impression que je fixe l'ensemble de mes camarades. Cet exposé m'a paru long et interminable. J'accueille la fin du cours avec soulagement. Après avoir fermé la salle de classe, je m'apprête à arpenter de nouveau le couloir quand je l'aperçois. La fille à capuchon de la boutique d'antiquité. Elle est au bout du couloir. Je suis paralysée sur place. Je ne peux pas distinguer son visage soigneusement dissimulé derrière sa capuche. Elle n'a pas du tout l'air féminin vu la manière dont elle est habillée. Elle porte ungros pull noir à capuchon, un jean ultra large, troué au niveau du genou et une paire de basket blanche. Je crois qu'elle me fixe. Je me tourne de tous les côtés pour regarder s'il y a d'autres personnes qu'elle pourrait observer. Mais il n'y a personne d'autre que moi dans ce couloir-ci, c'est donc moi qu'elle scrute si intensément. Mais pourquoi ? Prise d'une audace qui ne me ressemble pas du tout, je cours le long du couloir dans l'espoir de l'atteindre. Mais à peine ais-je commencé à courir, qu'elle tourne les talons et disparaît vers un couloir raccourci qui au bout mène directement dehors.

Une fois dehors, hors d'haleine, je tourne la tête de tous les côtés pour essayer de l'apercevoir. Je la vois en train de courir tout droit vers un groupe de garçon hilare. L'un d'entre eux vient de s'affaler de tout son poids sur le sol après avoir essayé de faire du skate bord. J'ai moi-même du mal à réprimer un sourire, mais un point de côté transforme mon sourire en grimace. En courant, je bouscule des étudiants qui me bloquent le passage. L'un d'entre eux me lance un juron, mais je m'en fous. Je poursuis ma course effrénée jusqu'au parking, mais je l'ai définitivement perdu, encore. Essoufflée et un peu en colère d'avoir été si proche du but sans l'avoir atteint, j'ai une envie urgente de boire. Je n'ai pas envie d'aller à la cafétéria pour acheter une bouteille d'eau.

J'attends avec impatience le tram. Cette fois-ci, il n'arrive pas tout de suite, je regarde l'écran d'affichage. Il annonce que le tram arrive dans cinq minutes. Je crois que ce sont les cinq minutes les plus longues de ma vie. Arrivée chez moi, je traîne des pieds jusqu'au frigo pour prendre de l'eau fraîche. J'ai tellement soif qu'une fois la bouteille ouverte, je la bois tout de suite sans prendre un verre. Une fois rassasiée, je m'assois lourdement sur l'une des chaises proches de moi.

J'ai du mal à m'endormir. Je tourne et me retourne sans arrêt dans mon lit. Lorsque je réussis enfin à m'endormir je me réveille en sursaut après avoir rêvé que j'étais dans la cafétéria et que mon plateau s'est entièrement renversé sur moi. Mais ce n'est pas ce qui m'a le plus interpellée. Juste après m'être renversée le plateau, je vois une centaine d'étudiants me montrer du doigt et se convulser de rire. C'est cette image d'humiliation qui m'a réveillé. Une fois calmée, je tente de me rendormir. Après une vingtaine de minutes, j'y parviens.

Cette fois je cours. Tiens comme dans l'autre rêve. D'ailleurs, le décor est le même. Je suis toujours dans la grotte mais je ne m'apprête plus à toucher l'épaule de cette mystérieuse jeune fille. Autre changement, je vois une lumière au loin. J'entends des bruits de pas. Dans l'autre rêve, les pas étaient devant moi et dans celui-ci, ils sont derrières. Je suis prise d'une peur soudaine. Puis je me dis que ce n'est qu'un rêve, il ne peut rien m'arriver. Pour ne plus hésiter, je me retourne brusquement et je vois une silhouette encapuchonnée tendre la main vers moi.

C'est mon hurlement qui me réveille une seconde fois en sursaut. De la sueur perle sur mon front, je l'essuie d'un revers de la manche de mon pyjama. Assise, haletante dans mon lit, je crois que je suis sur le point de fondre en larme. Deux minutes après cette pensée, je pleure de tout mon soul. Ma vue est complètement brouillée et je n'arrête pas de renifler. Je constate que pleurer me fais du bien. Ma crise de larmes m'a donné le hoquet. Ce qui me pousse à me lever et à me rendre dans la cuisine pour boire un verre d'eau. Tout en buvant, j'ai un hoquet ce qui me fais avaler de travers. Je pars alors dans un toussotement sans fin à m'époumoner. Le visage écarlate, les mains posées à plat sur la table, je respire à plein poumon. Ce grand bouffé d'air irrite ma gorge et provoque un second toussotement. J'ai l'impression qu'on vient de m'arracher les poumons. Je déglutis avec peine.

Je n'ai pas envie de me rendormir, alors je vais dans le salon. Je ressens un sentiment désagréable d'agacement mêlé de vide. Je prends un coussin, je le serre contre moi avant de m'allonger sur le canapé. La notion du temps m'échappe. Je reste là, les yeux fixés au plafond. Pour ne pas rester dans l'obscurité totale, j'allume une petite lampe de chevet que je possède depuis l'âge de huit ans. Sa lumière reflète de minuscules étoiles flottantes, me donnant l'impression d'être couché en plein air. Peu à peu, le sommeil me gagne.

Chapitre 7

Cette fois aucune sonnerie ni musique ne m'a réveillé. J'ai donc dormi jusque tard dans la matinée. En me réveillant, je suis prise de panique. Mes idées s'éparpillent dans ma tête. Je commence à me précipiter pour me préparer quand je me rappelle soudain que l'on est jeudi. Un vague soulagement m'envahit. Je n'ai pas cours de la journée. Je constate que ma lampe n'est pas éteinte. Je me penche pour la débrancher de la multiprise. Puis j'ouvre les volets. La lueur du jour m'éblouit, m'aveuglant durant deux bonnes minutes durant lesquels je dois fermer les yeux.

Je ne prends pas mon petit déjeuner étant donné qu'il est presque onze heures du matin. Je n'ai pas vraiment envie de cuisiner, ni d'aller dehors pour chercher à manger. Pour combler ma faim, je mange des chips. Même s'il fait encore un peu chaud, j'ai envie de boire du thé. Je le sirote les pensées ailleurs. Cela fait un mois que je suis à la faculté et je ne sais pas quoi penser de mes sentiments. Je suis à la fois contente et triste d'être à l'université. Contente parce que j'ai l'impression d'avoir un semblant de liberté. Triste parce que certaines hantises de ma vie ne m'ont pas quitté. Malgré toutes ces années à chercher mon chemin, je me sens toujours perdue, peu confiante en la vie et immensément attristée de ce qu'elle peut être parfois.

Je repasse en revue tout ce qui m'est arrivée depuis le début de l'année universitaire. Sur mes séries de maladresse, je n'ai pas grand-chose à commenter à part le fait que ça fait partie intégrante de moi. J'ai beau me dire qu'il faut que je fasse attention, je ne suis pas convaincue que ça m'empêchera d'être maladroite.

Perdue dans mes pensées, je me souviens des après-midis où j'ai dû m'organiser pour travailler l'exposé avec les filles. En réalité, nous étions quatre filles. Une fille dénommée Diana s'était jointe à nous à la dernière minute. Olga m'a expliqué brièvement qu'elle venait de changer de filière. C'est une brune au regard affable, le teint mâte, jolie dans le style jeune mannequin. Rien avoir avec les deux autres. J'ai cru comprendre qu'elle avait étudié le droit. J'ai voulu savoir pourquoi elle a arrêté mais elle m'a répliqué qu'elle ne souhaitait pas que tout le monde le sache. Comme si je suis tout le monde. Je notais que les deux autres étaient au courant de la raison. Néanmoins je ne tenais pas à créer un froid entre nous c'est pourquoi je n'avais pas insisté. Nous avons travaillé plusieurs après-midis ensemble. Pas une seule fois je me suis intégrée dans le groupe. Peut-être que c'est de ma faute parce que je ne prenais pas la peine d'alimenter la conversation. Mais je ne savais pas quoi dire. Une partie de moi me dit que ce n'était pas entièrement de ma faute. Ninon n'était pas du tout enchantée de ma présence. Il existait entre les trois filles une complicité qui m'exaspérait parce que j'ignorais d'où elle provenait. Après tout, ça ne faisait pas très longtemps qu'elles se connaissaient. En tout cas, c'est ce qu'Olga m'avait raconté. Peut-être que nous n'avons pas la même notion de « pas très longtemps ». Je ne comprenais pas et je ne comprends toujours pas. Etait-ce pour m'isoler ou c'est tout simplement moi qui ai imaginé cette complicité ? Je n'en sais fichtre rien.

Le dernier après-midi où l'on devait boucler l'exposé, nous avons terminé un peu plus tôt que prévu. Diana avait proposé d'aller en ville pour faire un peu de shopping. Olga fut tout de suite enchantée, Ninon un peu moins probablement à cause de moi. Elle a posé son habituel regard hautain vers moi, sans doute en se demandant ce que je pourrais bien acheter comme fringue. Néanmoins elle accepta. Naturellement, j'ai pensé que je suis aussi conviée à l'invitation, j'avais donc pris mon sac en attendant debout près de la porte. Mais je me suis trompée. En me dirigeant vers la porte, je vis Olga demander la permission à Ninon.

  • Est-ce que Bérénice peut venir avec nous ?

Elle acquiesça avec dédain. Je n'arrive toujours pas à saisir son mépris envers moi. En quoi l'ai-je mérité ? Cette demande de permission me vexa un peu. Comme si Ninon était le chef du groupe. Je pense maintenant que c'est peut-être le cas. Nous partîmes quelques instants après ça.

Le premier magasin dans lequel nous étions entrées était H&M. Il y avait un monde fou. Je n'aime pas trop le shopping, et je suis bien en peine d'expliquer pourquoi. Peut-être à cause de tes rondeurs me suggère ma conscience malicieuse. Je marchais le long des allées en prenant garde à ne pas bousculer quelqu'un. Je regardais de temps à autre un article puis un autre sachant parfaitement que je n'avais aucune envie d'acheter quoi que ce soit. C'était juste pour la forme au cas où les filles m'observaient. Au bout de quelques minutes, j'en avais marre de déambuler dans un magasin sans objectif d'achat. Je tournais la tête de tous les côtés à la recherche d'Olga. Je mis un peu de temps à repérer sa touffe de cheveux noire. En espérant qu'elle ne se déplacera pas trop loin de l'endroit où je l'avais vu, je me frayais un chemin vers elle. Par chance, nous nous croisâmes en milieu de chemin.

  • Je vais m'en aller, je n'aime pas trop rentrer tard chez moi ! disais-je en guise d'excuse.
  • Tu n'achètes rien ? me questionna-t-elle
  • Non ! il y a trop de monde, je n'ai pas eu le temps de m'attarder sur un article avais-je menti.
  • Ok ! à plus alors
  • A plus !

Puis on s'est séparée sans ajouter un mot. Je crois me souvenir de m'être précipitée vers la sortie du magasin, très empressée de quitter cette foule avide.

Alors que je dirige ma tasse de thé vers mes lèvres, plus aucun liquide ne coule dans ma bouche. Ce constat me tire de mes pensées. Je jette un coup d'œil dans ma tasse, elle est vide. Je me lève lentement de ma chaise en prenant d'une main la tasse vide et de l'autre le sachet de thé pour le jeter dans la poubelle. En entrant dans le salon, je regarde machinalement la pendule en face de la porte : il est quatorze heures. Déjà ! Je n'ai rien fait de ma matinée et il ne me reste plus que l'après-midi pour tenter de relire mes cours. Pour me motiver, je me fixe environ deux heures de travail. Je consacre une heure pour faire une liste des mouvements littéraires du XIXème siècle avec leurs caractéristiques. Je les inscris dans un tableau que j'ai dessiné et qui par chance tient sur une seule feuille. Je pense maintenant faire un peu d'anglais.

Mon principal défaut dans l'apprentissage a toujours été mon manque de concentration. Je ne suis pas bavarde, loin de là. Mais je ne suis jamais dans la réalité de l'instant présent. Je suis souvent dans une sorte de rêve éveillée. J'ai tenté en vain de lutter contre cette mauvaise nature mais rien ne fonctionne jusqu'à présent. Je m'applique à essayer de comprendre l'emploi du prétérit et du present perfect. Exercice après exercice, je n'ai pas l'impression d'avoir capté quelque chose. Mes pensées sont accaparées par la vision de cette personne portant cette veste à capuchon et de mes sommeils troublés par la présence d'une inconnue sans visage. C'est seulement là que je remarque un détail. Aussi bien dans mon rêve que dans la réalité, je n'arrive pas à voir le visage des deux personnes. Je me demande s'il existe un lien entre les deux.

Je reste sur cette dernière pensée en allant dans la cuisine pour manger une part de brownie au chocolat noisette. Pendant que j'y suis, je me verse du jus d'orange dans un verre et le boit à petite gorgée. Ce n'est pas un goûter très diététique tout ça ! Reproche vaguement ma conscience. Mais je l'ignore. J'aime manger. C'est comme une addiction, certaines personnes préfèrent jouer aux jeux vidéo toute la journée, d'autres aiment les soirées et ne peuvent en manquer ne serait-ce qu'une seule. Moi, j'aime manger. Ce qui explique naturellement mes rondeurs. Le fait est, que manger me donne une agréable sensation de plénitude, de consolation quand je suis contrariée ou en colère. Tout en sachant que toutes ses sensations engendrées par la nourriture n'est qu'en réalité un lent poison. Parce que si le plaisir est là, il est de courte durée. Ces trois dernières années me l'ont confirmé. J'ai pris du poids en une vitesse record. Mais tout cela ne m'empêche pas de regarder avidement ce dernier morceau de Brownie, que je me dépêche de fourrer dans ma bouche pour en savourer le goût. Je finis de prendre mon goûter quand l'aiguille de l'horloge pointe seize heures trente. J'ai envie de me délasser un peu et de prendre l'air. L'automne se fait ressentir parce que le jour commence à se raccourcir et l'épaisseur des nuages gris accélère l'arrivée de la nuit. Je me dépêche d'enfiler un Jean, un T-shirt à manche longue et un gilet en laine au cas où j'aurai froid.

Le centre-ville est encore animé. Des gens vont et viennent, quelques-uns sont pressés, d'autres au contraire prennent leur temps. J'ai une soudaine envie de faire une expérience que je n'ai jamais faite auparavant. Je repère un banc libre pour m'assoir, puis je prends note de tout ce qu'il y a autour de moi. Je m'imagine que mes yeux se transforment en appareil photo qui immortalise une image puis une autre grâce au clignement de mes yeux. Je pose ainsi mon objectif (ici mon regard) sur des centaines de passants, puis je zoome sur une personne en particulier. Je capture l'image d'une élégante dame d'un certain âge qui se promène. Je m'intéresse tout d'abord à sa démarche. Pour avancer, elle s'appuie lourdement sur sa canne. Un bâton long d'environ un mètre, d'une couleur marron qu'elle tient fermement de ses longs doigts ridés, usés par le temps. Pourtant malgré l'aide de cet instrument, elle avance avec une extrême lenteur et son équilibre laisse à désirer. J'ai l'impression en la regardant qu'elle peut tomber à tout moment. Elle est habillée chaudement. Un grand manteau noir en fourrure enveloppe son corps frêle. Une grosse écharpe en fourrure également noire assortie à son manteau est enroulée autour de son coup. Toutefois, je ne réussis pas bien à distinguer son visage, ce qui me force à l'imaginer. Vu que mon esprit est disposé à réaliser cette tâche, je vois dans ma tête des yeux bruns, un nez aquilin, des joues creuses et ridées, une bouche fine légèrement colorée par un rouge à lèvre rouge et un menton pointu. Alors que cette image s'empare de mon esprit, je ne vois pas le temps passé. C'est avec un étrange étonnement que je constate l'arrivée de la nuit. Je cherche mon portable dans ma poche, il est dix-huit heures.

Je rentre d'un pas tranquille, l'esprit rêveur, heureuse que cette expérience ai-pu adoucir mes tourments de ses derniers jours.

Une fois arrivée chez moi, loin d'être fatiguée, je prépare activement mon déjeuner qui consiste en une salade d'haricot vert. Voilà une bonne initiative ! Approuve ma conscience. Quand je finis enfin de cuisiner le repas, je me sers abondement de haricot vert. Je mange lentement pour tenter de savourer ce repas comme j'ai savouré tout à l'heure le Brownie, mais l'effet n'est pas tout à fait le même. J'ai vidé presque la moitié de mon assiette quand mon téléphone vibre sur la table de la cuisine. Je le déverrouille et un message de Tatiana apparaît. Je lis :

  • Salut, j'espère que tu as passé une bonne journée ! Je voudrai savoir si ça t'intéresse de venir en boîte demain soir ? Ça sera sympa et ça ne coûte pas trop cher ! Dis-moi ce que tu en penses ! Chao.

Une boîte de nuit signifie pour moi mon pire cauchemar. Mais comment le lui dire. Je réponds :

  • Salut, je ne pense pas être libre demain soir ! Bonne soirée, à demain.

Voilà ce que je me contente de lui dire. Mais quand j'y pense, je vais devoir chercher une excuse valable parce que telle que je la connais, elle ne va pas lâcher l'affaire.

Pour m'aider à m'endormir, j'allume ma petite lampe étoilée. L'astuce marche, parce qu'à peine dix minutes plus tard, je m'endors profondément.

Chapitre 8

Cette fois quand le réveil sonne, je me lève directement pour éviter toute précipitation. Pour bien me réveiller je prends ma douche avant le petit déjeuner. Tout en m'habillant, une pensée me frappe soudain, je me demande si ce n'est pas légitime que les gens m'évitent puisque je ne fais pas beaucoup attention à moi. Je décide de faire un petit effort, j'induis mon visage d'un gel nettoyant puis d'une crème hydratante pour l'adoucir. Je constate une meilleure netteté de ma figure.

Il est environ sept heure et quart quand j'entame mon petit déjeuner. Je suis de bonne humeur, la petite expérience d'hier soir m'a vraiment remonté le moral. Il est sept heures et demie. Je me brosse les dents en vitesse tout en prenant soin de mettre une serviette de bain sur ma poitrine pour éviter de salir mes vêtements avec du dentifrice.

Je suis à l'arrêt du tram. Il est maintenant huit heures moins vingt. Le tram arrive deux minutes après moi. Seulement, je ne monte pas à l'intérieur, tellement je crains d'être compressée jusqu'au point de vomir tout mon petit déjeuner. Je lève les yeux vers le téléviseur qui annonce les arrivées du tram. Heureusement, en période scolaire, il y a à peu près un tram toutes les cinq minutes. Puis mon regard explore les alentours. Le derrière du tramway qui vient de passer n'a pas complètement disparu, ce qui me fais penser qu'à la vue d'un tram, je ne peux pas m'empêcher de voir cet engin comme une grosse chenille métallique. Je me demande si son inventeur a pensé à cet insecte quand il a voulu faire la conception de ce moyen de transport. La tournure de mes pensées me fait sourire. D'ailleurs, il doit se voir sur mon visage parce que la dame à côté de moi me regarde d'un air bizarre. Mais de toute façon, je suis quelqu'un d'étrange sinon pourquoi tout le monde me méprise ? Excellente question me nargue ma saleté de conscience. Je décide d'ignorer cet incident. Le prochain tram ne met pas longtemps à venir. Mais je constate le même problème que quelques minutes auparavant. Mais désormais, je n'ai plus le choix, si je veux arriver à l'heure à la faculté, je dois prendre ce tram.

Je me retrouve coincé entre une femme au large ventre proéminent et un homme vigoureux. Les deux prennent trop de place de sorte que je n'ai absolument rien pour me retenir. A chaque mouvement du tram, je suis propulsée d'avant en arrière me cognant tantôt au dos des gens tantôt à la porte, provoquant un haut le cœur qui menace maintenant d'être un long vomissement. Je ne peux pas me retenir de penser que je hais ces matins où je suis forcée d'être serrée entre deux personnes. Priant de toutes mes forces pour que je ne vomisse pas, je me tourne lentement vers la porte à qui jusque-là je tournais le dos. C'est avec soulagement que je vois les premiers bâtiments de l'université. C'est bon signe, ça veut dire que je vais bientôt descendre.

Une fois les portes du tram ouvertes, je me précipite dehors. Je respire à plein poumon l'air frais du matin. Puis je me rappelle que je suis pratiquement en retard. Je pique un sprint à couper le souffle. J'arrive finalement pile à l'heure à l'amphithéâtre, mais ma foutue maladresse me met encore à l'épreuve. Alors que je tends ma main pour ouvrir la porte de l'amphi, le mouvement provoque l'ouverture de mon sac et libère tout ce qu'il y a à l'intérieur. Je crois que le terme « maladresse » ne convient même plus à cette scène, le terme « catastrophe » le remplacerait mieux. En effet, parce que non seulement mes affaires sont éparpillées partout mais en plus il a fallu que ça tombe sur Lui. Oui, Lui parce que je ne connais pas son prénom. Je crois que je ne réalise pas ce qui est en train de se passer. Je le regarde, il me regarde aussi. Mon visage vire vers une couleur rouge betterave et je me mets maladroitement à ramasser mes feuilles par terre. Contre toute attente, il ramasse les feuilles qui se sont envolées un peu loin de moi. Je range en vitesse dans mon trieur celles que je tiens à la main. Il me tend celles qu'il a ramassées. Un instant j'ai cru que je ne parviendrais pas à sortir un mot de ma bouche mais je réussis quand même à lui dire « merci » d'une voix hésitante et un peu rauque. Il me sourit, je lui rends à mon tour un sourire timide. Puis il m'ouvre la porte (waouh ! un Gentleman en plus). Heureusement que les bancs de l'amphi tournent le dos à la porte de manière à ce que les gens ne puissent pas me voir arriver. Le cœur battant à cause de ce qui vient de se passer, je cherche des yeux Tatiana. Je la trouve enfin, mais elle est à côté d'une fille, également blonde comme elle mais dont je n'ai encore jamais vu jusqu'à présent. Je me dirige rapidement vers elles. Après une salutation rapide, j'apprends que la fille s'appelle Lisa et qu'elle partage le cours de TD d'anglais avec Tatiana. J'entame alors deux heures et demie de prise de note non-stop. Enfin, une demie heure de moins pour moi parce que durant ce temps, je repensais à Son regard. Il a les yeux bruns mais je ne me suis pas vraiment arrêtée sur l'expression qu'ils avaient à ce moment-là. La pause arrive enfin et un brouhaha s'élève naturellement un peu partout dans la salle.

  • Alors tu viens ce soir ? me questionne Tatiana
  • Il y a quoi ce soir ? dis-je un peu perdue.
  • En boite de nuit ! tu te souviens, je t'ai envoyé un message hier !

Ah oui, je l'ai oublié celui-là. En plus, je ne sais pas trop quoi lui dire. En fait, il est clair que je n'ai pas envie d'y aller. Je me sens toujours mal à l'aise au milieu d'une foule. Mais il y a l'art et la manière de le dire. Le genre de chose où je n'excelle pas du tout. Je hasarde un « je ne sais pas trop ! »

  • Allez-viens, ça sera sympa et en plus ce n'est pas très cher !
  • Qu'est-ce que tu entends par : pas très cher ?
  • Treize euros
  • Oui mais je n'ai pas trop envie d'y aller ! déclaré-je. Mieux vaut être honnête dès le départ pour éviter toute sorte de mal entendu.

Jusque-là, Lisa ne dit rien. Puis elle s'exclame tout à coup :

  • Tu devrais venir puisque tu n'as rien d'autre à faire !

Je ressens en ce-moment une bonne dizaine de sentiments différents mais ce qui domine le plus c'est la colère. Mais bien entendu, comme d'habitude, il s'agit d'une colère muette (mais pour qui elle se prend, je ne la connais pas, elle ne me connait pas ! mêles-toi de tes oignons) voilà ce que j'ai envie de lui répliquer, mais ça ne sort pas. Cette colère bouillonne en moi, me consumant de l'intérieur. Mes joues sont devenues brûlantes, je m'imagine rouge boursoufflé, mais ça ne me donne pas du tout envie de rire. Bref, je ne parviens pas à riposter face à cette remarque désobligeante. D'ailleurs un silence gêné s'est installé entre nous.

Je détourne mon regard à la recherche de quelque chose qui peut m'apaiser. Mon regard tombe sur Lui. Il est assis sur un banc, en pleine conversation avec une fille. Leur discussion semble joyeuse. Mais cette vision ne m'apaise pas, je ressens une boule coincée dans ma gorge. Mon regard reste fixé sur eux un peu plus longtemps que nécessaire. D'ailleurs, il a certainement remarqué que quelqu'un l'observe, parce qu'un instant, il lève brusquement la tête dans ma direction. Je plonge mon regard dans le sien pendant un court instant avant de le détourner. Ce qui n'échappe pas aux filles à côté de moi.En effet, quelques instants après, j'entends :

  • Alors comme ça on mate ! Cette fois, c'est Tatiana qui a parlé.

Mais je n'y crois pas ! Elle ne va quand-même pas s'y mettre aussi. Malgré ma colère croissante, je ne lui réponds pas. Je me contente de détourner mon regard. Durant le reste de la pause, je prends garde à ne plus fixer mon regard vers un endroit précis. J'ai hâte que le cours finisse. Après deux autres longues heures qui m'ont paru interminable le cours se termine enfin. Je suis secrètement contente que cette après-midi je n'ai pas cours avec Tatiana.

Une fois sortie de l'amphi, elle me propose de manger au restaurant universitaire. Mais j'ai bien envie de lui faire comprendre que je suis trop en colère pour dîner avec elle et encore moins avec son enquiquineuse de copine.

  • Non merci, j'ai prévu de manger chez moi ! Bon appétit ! et je pars sans rien dire de plus.

En réalité, il n'y a pas de repas prêt à la maison. Mais quand je n'ai pas la pêche, je préfère rentrer pour éviter les regards indiscrets. Tout en marchant pour rejoindre l'arrêt du tram, je repense à cette histoire de boite de nuit. C'est là que je me souviens avoir répondu hier que je ne suis pas disponible ce soir. Me maudissant moi-même de ne pas avoir répété la même excuse, j'arrive à l'arrêt en même temps que le tram.

Une fois arrivée à la maison, je m'allonge sur le canapé du salon et je ferme les yeux environ cinq minutes. J'ai exactement deux heures pour manger. Je me lève à contre cœur du canapé pour m'improviser un sandwich dans la cuisine. Je n'ai aucune envie de retourner en cours cet après-midi. Mais c'est un cours de travaux dirigé et je ne peux pas le manquer sans justificatif sous peine d'être pénalisée. Je mange lentement, mais plus je mange, plus j'ai envie de m'écouter et de ne pas assister à mon cours. La tentation est plus forte à chaque seconde. Après avoir mangé, je m'allonge de nouveau sur le canapé. Je respire, j'expire, bref j'essaie de calmer les émotions négatives qui me traversent. Lorsque je me décide enfin à me lever du canapé, il ne me reste plus que vingt minutes avant le début du cours.

Durant le cours, le professeur nous assomme avec des tas d'exercices sur le point de vue du narrateur dans un roman. Sans parler des exercices qui consiste à repérer les valeurs du temps dans un texte. Le hasard a fait que je me retrouve assise entre Olga et une fille que je ne connais pas. Olga papote avec Diana, mais je n'ai pas envie de participer à leur discussion même si je ne peux pas éviter de les entendre. Je préfère faire la connaissance de ma voisine qui se trouve à ma droite. Je réfléchis pendant cinq minutes à la façon dont je vais l'aborder.

  • C'est un peu long le cours non ! tu ne trouves pas ? c'est tout ce que je trouve à dire même si ce n'est pas vraiment très recherché.
  • Un peu ! me répond-elle en souriant.

Ouf ! Apparemment elle n'a pas l'air d'être choquée que je lui parle. Mais je ne vois pas comment alimenter la conversation. Qu'est-ce que je peux lui dire de plus pour l'amener à parler. Puis finalement c'est elle qui enchaîne la discussion.

  • Tu lis Robinson Crusoé en ce moment ? me questionne-t-elle en voyant un bout de mon livre dépasser en dessous de mon trieur.
  • Oui ! c'est tout-ce que je parviens à lui répondre étant donné que je suis trop contente d'avoir réussis à parler à quelqu'un que je ne connais pas. Elle enchaîne par une autre question.
  • Tu achètes souvent des livres ?
  • Oui, je vais souvent dans les librairies alors la plupart du temps j'en sors avec un ou deux livres et toi ?
  • Non ! je me contente d'aller à la bibliothèque. Tu devrais faire pareil me conseille-t-elle. Si t'achètes tout le temps des livres tu vas te ruiner ! m'annonce-t-elle en plaisantant. En plus les librairies te proposent leur carte de fidélité et du coup t'es tout le temps obligé d'acheter un de leur bouquin !

Ça c'est une bonne remarque parce que c'est ce que je fais en fait, j'achète un livre tous les trimestres parce que c'est le règlement de ma carte de fidélité. Cependant, je veux lui répondre sur le même ton de la plaisanterie alors je déclare :

  • Heureusement que je t'ai rencontré, sinon je continue de me faire arnaquer !

On rigole ensemble !

  • En fait, moi c'est Bérénice
  • Yasmine ! se présente-t-elle.

Puis c'est la fin du cours, tout le monde range ses affaires et sort de la salle. Il est environ seize heures trente.

Je choisis de faire un bout de chemin avec elle. J'apprends qu'elle a redoublé sa première année et qu'elle ne suit plus beaucoup de cours cette année. Je comprends mieux pourquoi je ne l'ai pas encore vu jusque-là.

  • Je vais à l'arrêt de bus ! m'annonce-t-elle une fois qu'on est arrivée dans le parking.
  • Ok ! je t'accompagne si tu veux !
  • D'accord merci ! dit-elle gentiment.
  • Tu habites loin du campus ? me demande-t-elle au bout d'un instant.
  • Pas si loin que ça dis-je, j'habite près du centre-ville. Et toi ?
  • J'habite vers Chenôve.
  • Tu vas rentrer chez toi là ? lui questionne-je
  • Non, Je travaille chez Intermarché jusqu'à 21h.
  • Tu travailles tous les soirs, ne pus-je m'empêcher d'interroger.
  • Non, j'ai établi un emploi du temps précis avec mon employeur depuis le début de mon contrat. Je lui ai fourni mon emploi du temps du premier semestre et à partir de là il détermine mes horaires. Des fois je travaille la journée lorsque je n'ai pas cours par exemple.
  • Ah ! ok.

Quelques minutes plus tard, son bus pointe son nez. On se fait la bise.

  • Au revoir, bonne soirée et bon week-end ! me dit-elle
  • Merci à toi aussi !

Je remonte lentement l'allée qui mène vers le tram. Je n'attends pas trop longtemps, cinq minutes tout au plus.

Arrivée à la maison, je dépose mes affaires dans ma chambre. Je commence à fermer les volets. Une fois cette tâche terminée, je me rends dans la cuisine. Heureusement, il reste une moitié du sandwich de ce midi posée sur une assiette au milieu de la table. Je le mange lentement. Trop exténuée pour regarder une émission à la télé ou un film, je me rends dans la salle de bain pour prendre une douche et me brosser les dents. Je suis ravie que Tatiana ne m'a pas rappeler ni envoyer un message pour aller en boîte.

Allongée dans mon lit, je repense à cette journée riche en émotion contradictoire. La matinée, j'ai été contrariée et l'après-midi enjouée. Je m'endors en ayant l'esprit serein, plein d'espoir.


Chapitre 9

Je suis déjà réveillée depuis un quart d'heure quand mon réveil sonne. Je n'ai pas pensé à préparer mes affaires la veille pour partir ce week-end. Après un moment d'hésitation, je décide de rien apporter puisque j'ai laissé certains de mes affaires dans ma chambre chez ma mère. D'ailleurs, quand j'y pense, elle ne m'a plus appelé depuis que j'ai raté son dernier appel. Je ne sais pas trop comment l'interpréter, bon ou mauvais signe ? De toute façon je le saurai tôt ou tard ce week-end. Le train est rempli comme d'habitude, je peine à me trouver une place. Je finis par en dénicher une dans le sens contraire de la direction du train. Durant le trajet, j'écoute tranquillement de la musique. J'arrive à la gare vers 11h. Je me dirige vers la sortie quand mon portable vibre dans la poche de ma veste.

Une fois arrivée dans le hall d'entrée de la gare, je saisis mon téléphone pour répondre à l'appel. Trop tard, au moment où j'appuie sur la touche verte, j'entends un bip, bip, bip. Je regarde le numéro qui s'affiche, c'était ma mère ! Merde, encore un appel manqué, maintenant je suis sûre que je vais passer un sal quart-d 'heure, ou pire, un mauvais week-end. Je la recherche du regard quand mon portable vibre de nouveau. Cette fois, c'est un message, toujours de ma mère. Je m'attends au pire ! Elle m'annonce qu'elle ne vient pas me chercher. Zut ! Je regarde l'heure, il est 11h15.

Si ma mémoire est bonne, le prochain Car part à 11h20. Je cours vers l'entrée menant vers la gare routière. Le Car est toujours là. C'est une fois arrivé à la hauteur du véhicule que je me rends compte qu'il va falloir payer. En espérant avoir assez de monnaie, je m'arrête brusquement devant la porte pour chercher mon portefeuille au fond de mon sac. Après avoir farfouillé pendant quelques secondes, je finis par le trouver. Je sors une pièce d'un euro, puis de cinquante centimes, je ne sais pas si le reste de ma monnaie sera suffisant pour obtenir cinquante centimes. Dix, encore dix, ouf ! Un vingt et deux cinq centimes. Dieu soit loué, je finis par rassembler deux euros. Toute cette scène évidemment se déroule devant le regard insistant et dérangeant des autres passagers qui bien entendu sentent le besoin de me fixer pendant ce moment de gêne où je farfouille dans mon porte-monnaie. Je tends l'argent à la conductrice qui me remet aussitôt un ticket. Il n'y a plus beaucoup de place. La plupart des passagers ont mon âge à part une petite mémé assise près de la conductrice. Je trouve une place vers le fond du bus. Je suis en train de mettre ma ceinture quand la voiture démarre. Je regarde le paysage défiler pendant que mes pensées s'évadent et m'emportent loin dans mes rêves.

Je dois encore marcher quelques mètres avant d'arriver à destination. J'arrive enfin devant le portail. Après l'avoir refermé derrière moi, je me dirige vers la porte d'entrée de la maison. Je sors ma clé de la poche droite de ma veste, mais en tournant le poignet, je constate que la porte est ouverte. Rangeant aussitôt ma clé dans mon sac, j'entre dans le vestibule. Une odeur alléchante de poulet rôti me chatouille les narines, provoquant un gargouillement de mon estomac qui crie famine. Je jette un coup d'œil dans le salon, n'apercevant personne, je m'avance discrètement vers l'escalier pour rejoindre ma chambre et y déposer mes affaires. Mais à peine ai-je mis un pied sur la première marche de l'escalier, j'entends venant de la cuisine :

- Bérénice c'est toi ?

J'ai envie de répondre ! Évidemment que c'est moi, qui d'autre ça pourrait être. Mais je ne voudrais pas mettre de l'huile sur le feu alors je me contente de répondre que c'est bien moi. Une minute plus tard, ma mère pointe son nez. Elle me regarde avec une expression indéchiffrable avant d'ajouter :

- Dis donc jeune fille, tu n'as pas éteint ton téléphone par hasard ? Me questionne-t-elle d'un air faussement désintéressé.

- Non pourquoi ? Dis-je en faisant semblant de prendre un air étonné.

- Parce que je t'ai appelé de nombreuses fois et tu ne m'as jamais répondu ! me réplique-t-elle cette fois avec sévérité.

Je réponds :

- Il se trouve qu'à la gare il y a beaucoup de bruit, je n'ai pas entendu le téléphone sonner.

- Je veux bien le croire mademoiselle mais il me semble qu'il est toujours indiqué sur l'écran du téléphone que quelqu'un nous a téléphoné ?

Là elle marque un point. Je garde le silence un instant pour réfléchir à une contre-attaque. Au bout d'un moment, je lui annonce :

- Certes tu as raison, mais je n'ai pas pensé à regarder mon téléphone.

Sur ce, je me précipite vers l'escalier et monte les marches quatre à quatre pour éviter d'autres questions. Excellente stratégie parce qu'elle n'a pas essayé de me poursuivre. En refermant la porte de ma chambre, ma conscience me rappelle à l'ordre, tu ne payes rien pour attendre ! me dit-elle. Mais je la repousse au tréfond de mon inconscient qui va prendre soin de bien la ligoter.

Je jette mon sac au pied de mon bureau et pose mon manteau sur le dos d'une chaise à proximité. Puis je me laisse tomber lourdement sur mon lit. Les yeux fermés, je me concentre sur ma respiration. Un bruit de cliquetis aigu, désagréable interrompe le calme qui s'est installé en moi. Je ne parviens pas à savoir d'où peut-il bien venir. Puis je comprends soudain qu'il s'agit de la maudite cloche que ma mère prend plaisir à agiter avant chaque dîner pour appeler tout le monde à table. Avec un long soupir d'exaspération, je me lève péniblement du lit pour me rendre dans la salle à manger.

Arrivée au seuil de celle-ci, je contemple la table dressée devant moi. Seule deux assiettes sont présentes. Zut ! je vais diner en tête à tête avec ma mère. Je marmonne pourquoi mon frère n'est jamais là quand j'ai besoin de lui.

Ma mère entre dans la pièce les mains chargées d'un grand plat rempli de pomme de terre. Je me rends dans la cuisine pour récupérer le poulet rôti dans le four. Puis nous sommes installées à table. Pour l'instant, le silence règne. Trop occupée à mastiquer, aucune de nous n'entame une conversation. Cependant, je redoute fortement la fin du repas. Après que le dessert soit terminé, je rassemble les assiettes sales pour les emporter dans la cuisine. Je veux monter au plus vite dans ma chambre. Je me dépêche de faire la vaisselle pour éviter un face à face. Elle ne semble pas vouloir discuter dans la cuisine. Un peu d'espoir naît en moi, peut-être que je vais être tranquille.

En sortant de la pièce, je tente de faire le moins de bruit possible en me dirigeant vers l'escalier.

  • Bérénice, je peux te parler s'il te plaît !

Voilà, mon pire cauchemar se réalise. En respirant profondément, je me rends dans le salon car c'est de là que provenait le son de la voix.

  • Assieds-toi ! me dit-elle

Le ton de commandement qu'elle prend ne présage rien de bon. Je pris place dans le fauteuil désigné.

  • J'imagine que tu te doutes de l'objet de cette discussion commence-t-elle. Si ce n'est pas le cas, je vais m'expliquer et je vais aller droit au but. Je n'apprécie pas le fait que tu ne réponds pas au téléphone.
  • Si tu parles des deux appels manqués de la dernière fois commencé-je...
  • Laisse-moi parler, ce que je veux te dire est important. Si je te contacte, c'est pour savoir si tu vas bien. Mais si tu ne réponds pas, je ne peux pas le savoir. Maintenant, dis-moi la vraie raison pour laquelle tu ne me réponds pas ?
  • Mais je n'ai pas de vraie ou de fausse raison, j'ai raté ton appel c'est tout. Ça arrive à tout le monde non !
  • Pourquoi tu ne me rappelles pas après ?
  • Parce que je n'y pense pas forcément !
  • Parce que tu n'y pense pas forcément ! répète-t-elle. Maintenant ça suffit Bérénice, qu'est-ce que tu me caches ?

Cette conversation commence sérieusement à m'agacer. Si je ne la rappelle pas c'est tout simplement parce que je n'en vois pas l'intérêt.

  • Je ne te cache rien du tout. Comme tu le vois je me porte à merveille et de toute façon il est inutile de m'appeler chaque jour. Un appel ou deux par semaine devrait amplement suffire.

Sur cette dernière parole, je me lève promptement, sors du salon et monte les escaliers à toute vitesse. Durant ce temps-là, j'entends ma mère vociférer :

  • Attention Bérénice, que je ne paie pas tes études pour rien. Les études ça coûte cher ! si tu ne vas pas en cours, je le saurai. Pourquoi tu...

Je n'entends pas le reste parce que je viens de pénétrer dans mon refuge. Ma chambre. Une fois que j'ai pris soin de verrouiller la porte à clé, je mets mes écouteurs. Le son de la musique vrille mes tympans ce qui m'oblige à baisser le volume.

Au bout d'un moment, je m'assoupis. Lorsque je me réveille, l'obscurité me surprend. Je me dirige vers la fenêtre pour fermer les volets. Il est dix-neuf heures. C'est l'heure du dîner. Je n'ai aucune envie d'y aller. Je cherche dans mon sac s'il n'y a rien à manger. J'y trouve un paquet de chips déjà entamé. Il semblerait que ce soir je vais devoir m'en contenter en guise de repas, mais je sais que tôt ou tard je vais devoir affronter ma mère.

Curieusement, lorsque je descends prendre mon petit déjeuner, aucune querelle ne pointe son nez. Je ne m'en plains pas pour autant. Le reste de la matinée se déroule sans heurte. Cependant lors du déjeuner, je remarque que ma mère est de mauvaise humeur. Puis elle s'adresse à moi brusquement :

  • Ecoute Bérénice, c'est toi qui a choisi d'étudier Lettres à la faculté. Maintenant, il faut que tu assumes ton choix. Ne mets pas ta vie en otage en n'allant pas en cours !

Il me semble plus sage de ne pas répondre. Elle n'insiste pas. Je monte en vitesse dans ma chambre afin de récupérer mon sac à main. Je me félicite intérieurement que c'est notre voisine qui m'amène à la gare aujourd'hui, cela évitera une longue tête à tête pénible aussi bien pour ma mère que pour moi.

La voisine arrive pile à l'heure. Elle me dépose à la gare un quart d'heure avant l'arrivée du train, ce qui me laisse le temps d'acheter le billet au guichet.

Une fois dans le train, je réfléchis à tout ça. Mon seul constat se résume au fait que nous ne nous sommes jamais compris ma mère et moi. Pour éviter de ruminer, je regarde le paysage défiler. Le trajet m'a semblé plus court.

Le tram arrive rapidement, ce qui me permet d'être chez moi sans tarder. Je passe le reste de mon après-midi à lire pour éviter de penser. Le soir, je me prépare un smoothie de fruits en guise de déjeuner. N'ayant pas envie de regarder la télé, je dors de bonne heure.


Chapitre 10

Je suis debout dès six heures du matin, une première depuis le début de l'année universitaire. Non pas que j'ai hâte de reprendre les cours mais j'ai envie de prendre mon temps avant de m'y rendre. Tout en prenant mon petit déjeuner, une idée germe dans ma tête. Et si je m'assois à côté du mystérieux jeune homme qui me plaît ? Ma conscience explose de rire dans mon fort intérieur. Mais l'idée ne me quitte plus. Une lutte entre le désir de faire sa connaissance et le doute sur la démarche à suivre s'installe en moi. Je suis sur le point de partir du studio et la lutte continue. Alors que je monte dans le tramway, je comprends qu'elle ne s'arrêtera jamais. Je marche le long du couloir menant vers l'amphithéâtre avec une apparence calme de l'extérieur mais de l'intérieur la flamme de l'indécision me consume. Je pousse la porte de l'amphithéâtre. Je n'ai toujours pas pris ma décision. Résultat, je suis maintenant assise à côté de Tatiana et de sa stupide amie.

Je m'installe tranquillement en prenant un air résolument calme. Les filles discutent mais je n'ai pas envie de participer à leur conversation. Un regard circulaire dans la salle m'informe que le jeune homme tant attendu par mon cœur n'est pas encore arrivé. Je colore machinalement un bout de carreaux de ma feuille. J'entends la porte de l'amphithéâtre s'ouvrir, je me retourne, c'est Lui. Mon cœur s'emballe aussitôt. Je me détourne en vitesse pour éviter son regard. Du coin de l'œil, je le vois s'asseoir sur la rangée du milieu. Je réfléchis rapidement. Il m'est impossible de me déplacer à nouveau. Cela provoquerait des interrogations de la part de Tatiana. Chose que j'aimerai éviter. Je suis contrainte de suivre la première partie du cours assise à cette place. Je prendrai ma décision finale pendant la pause.

Le cours commence. Il me paraît interminable. Ma prise de note est moins efficace qu'à l'ordinaire on se demande pourquoi se moque ma conscience. L'heure de la pause arrive enfin et augmente mon état d'angoisse. Voyons ! la pause dure une dizaine de minutes. Ça ne me donne pas beaucoup de temps ni pour réfléchir ni pour me décider. Je commence à ramasser mes affaires.

  • Où tu vas ? Me questionne aussitôt Tatiana.

Merde ! Je n'ai pas d'excuse valable. Je tente un « je vais au toilettes ».

  • Avec tes affaires ? Réplique-t-elle
  • Oui, j'en ai besoin.

C'est tout ce que je parviens à répondre. Je me dépêche de prendre mon sac de peur qu'elle ne me pose une autre question. Je monte les quelques marches menant vers la sortie d'un pas précipité. Une fois sortie, je suis figée dans le couloir. En tournant la tête à droite, j'aperçois une porte vitrée qui mène dehors. Je m'y dirige. Mieux vaut que je prenne l'air.

Alors que je pousse la porte, je me heurte à quelqu'un, provoquant la chute de mes affaires. Je suis confuse. Sans regarder la personne que je viens de bousculer, je marmonne des excuses tout en ramassant mon sac. Heureusement, son contenu ne s'est pas éparpillé. Prenant mon courage à deux mains, je lève les yeux. Mon cœur s'arrête. C'est Lui. Le rouge me monte aux joues. Une chance sur un million pour que ça se produise.

  • Est-ce que tu vas bien ? Me questionne-t-il.
  • Oui, je crois. Dis-je hésitante. C'est plutôt à moi de te poser la question.
  • Ne t'inquiète pas, moi ça va. Tu quittes le cours ?
  • Non, je suis venue prendre l'air.
  • Avec ton sac ? Me demande-t-il les sourcils froncés.
  • Je n'aime pas laisser mes affaires traîner, dis-je spontanément.

Il n'insiste pas, ouvre la porte et me fait signe d'entrer. Il n'est plus question de faire marche arrière. J'évite de regarder vers Tatiana. Je sors ma trousse et mon trieur. Le cours reprend et pendant un quart d'heure je prends des notes. Le courage me manque pour entamer une conversation. De toute façon, une conversation durant le cours n'est pas très conseiller. Finalement au bout d'une demi-heure, j'extirpe du fond de mon trieur la moitié d'une feuille A4. J'écris :

Je m'appelle Bérénice et toi ?

Je glisse la feuille vers lui. Je le vois du coin de l'œil en train de le lire. L'expression de son visage me paraît impénétrable. Je le vois écrire à son tour. Mi soulagée mi inquiète j'attends. Il a écrit :

Je m'appelle Maël

Des rires me proviennent de derrière. Et moi qui croyais que cet échange est privée. Il ne faut pas compter là-dessus. Apparemment, les étudiants qui se trouvent derrière nous ont lu notre échange. Je me sens agacée mais je ne peux pas m'arrêter à mi-chemin. J'écris de nouveau :

Tu as quel âge ?

Je lui envoie la feuille. Deux minutes plus tard j'apprends qu'il a 18 ans comme moi. Je suis à cours d'idée. Qu'est-ce que je pourrais bien lui demander d'autre ? S'il a une petite amie tiens ! Me suggère ma conscience. Il est évident que je ne peux pas lui poser directement cette question. Pourtant, il faut que je le sache. Et si je l'invite ce soir. J'écris :

Ça te dirait de sortir boire un verre ce soir ?

La réponse tarde à venir. Je pense automatiquement que c'est fichu. Il me répond :

Non je ne peux pas sortir ce soir, je suis désolée. Et j'ai déjà une copine.

Et voilà, j'ai la réponse à ma question. Je m'y attendais un peu mais ça ne m'empêche pas d'être déçue.

Il a déjà une copine ! S'exclame une fille derrière moi. Je suis au summum de l'agacement. Je me retourne et la toise du regard. Heureusement la fin du cours est proche. Je jette un œil sur ma prise de note. Elle est remplie de rature et entièrement désordonnée. Sans parler du fait qu'elle est incomplète. Je soupire dans mon fort intérieur. J'ai pris tout ce risque pour au final obtenir un râteau. Bien fait ! me sermonne ma conscience.

Je range mes affaires de mauvaises humeurs. Comme pour l'accentuer, mon idiot de trieur ne veut pas entrer dans mon sac. Décidément, je dois sortir tout le bric à braque à l'intérieur pour permettre à ce fichu trieur d'y entrer. Une fois mes affaires rangées, je m'apprête à partir quand quelqu'un me touche le bras gauche. Je me retourne brusquement sur le point de hurler « quoi ? ». Heureusement je me ravise à temps parce que je me rends compte qu'il s'agit de Maël.

  • Tu as oublié ton livre !

Il me tend un livre usé d'une couleur jaunâtre. Surprise, je lui rétorque que ce n'est pas le mien.

  • Bien sûr que si tu viens de le sortir de ton sac ! Me répond-il d'un air étonné.

Quoi ! J'ai sorti ce livre usé de mon sac. Je regarde le titre. Je lis « les trois mousquetaires » A. DUMAS. Impossible. Je suis figée sur place les mains tremblantes. Je lâche le livre. Je me dépêche se sortir de la rangée pour sortir au plus vite. La salle se vide peu à peu. J'ai vaguement conscience que quelqu'un se trouve près de moi. Une personne me tend de nouveau le livre. Je n'ai pas d'autre choix que de le prendre malgré ma réticence. Je constate qu'il s'agit de Maël.

  • Est-ce que tu vas bien ? Me questionne-t-il

Je hoche la tête en signe d'assentiment incapable de prononcer une parole.

  • Viens ! Je vais te raccompagner. Ajoute-t-il

Je marche à ses côtés comme un robot. Je m'apprête à sortir lorsque je jette un dernier coup d'œil dans la salle. Les mains plaquées sur ma bouche, les yeux écarquillés, je l'aperçois. Elle se trouve juste près de là où Maël et moi étions assis. Je me trompe où c'est un sourire qu'elle affiche sur son visage encerclé par cette maudite capuche. « Non, non c'est un cauchemar ! ».

  • Qu'est-ce qui est un cauchemar ? Me demande Maël.
  • Rien ! Je veux rentrer chez moi bégaies-je.
  • D'accord, si tu veux je peux te ramener chez toi, j'ai une voiture me propose-t-il gentiment.

J'acquiesce sans réfléchir, trop impatiente d'être chez moi. Aucun d'entre nous ne parle dans la voiture. J'ai retrouvé mon calme. Maintenant que mes fonctions cérébrales reprennent le dessus, un sentiment de honte s'empare de moi. Je ne peux pas m'empêcher de penser que Maël doit me prendre pour une cinglée. Il me dépose en un rien de temps devant mon immeuble. Il m'accompagne jusqu'à l'entrée du bâtiment.

  • T'es sûr que ça va ? Me questionne-t-il de nouveau.
  • Oui je vais bien ! Cette histoire de livre m'a un peu chamboulé mais ce n'est pas grave.
  • Ce livre vient vraiment de ton sac Bérénice. Je t'ai vu le sortir.
  • Je te crois.
  • Alors pourquoi ça t'étonne autant ?
  • Écoute, je n'ai pas envie d'en parler maintenant.
  • Ok, je comprends.

Il n'a pas l'air totalement convaincu mais il n'insiste pas.

  • Salut, bonne soirée et merci de m'avoir ramené chez moi !
  • De rien ! A demain !

Je bois un verre d'eau dans la cuisine. Je crois que j'ai eu mon quota de bizarrerie aujourd'hui. Non seulement j'ai été incapable d'expliquer mon départ subit auprès de Tatiana mais en plus je me suis fait passée moi-même pour une folle auprès du garçon qui me plaît. Génial ! Voilà un résumé concis de la situation murmure ma conscience. Qu'est-ce que j'ai envie de la faire taire cette conscience. Elle ne m'aide en rien.

Trop épuisée physiquement et mentalement, je me contente d'un yaourt pour le repas du soir. Pendant ce temps, mes pensées vagabondent mais finissent par revenir vers des questions qui ne cessent de hanter mon esprit. Cette femme encapuchonnée va-t-elle continuer de me harceler ainsi ? Est-ce qu'elle va continuer de gâcher ma vie ? Mais qu'est-ce qu'elle me veut ? je ne connais aucune des réponses à ses questions.

Après avoir enfilé mon pyjama, j'essaie de dormir en vain. Un sentiment d'insécurité m'envahit et m'oppresse. J'ai besoin de parler, mais à qui dois-je me confier. J'écarte ma mère d'emblée. Quant à Tatiana, je ne lui fais pas assez confiance. Je désespère quand tout à coup, je pense à mon grand frère Théo. Je regarde d'abord l'heure. Vingt et une heure trente. Ce n'est pas trop tard je pense. Je saisis mon portable et compose son numéro. Ça sonne au bout du fil. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois puis messagerie vocale. C'est la meilleure. Je coupe le téléphone. À quoi bon lui laisser un message, c'est parler avec lui dont j'ai besoin. Tant pis. Je vais me contenter d'écouter de la musique, peut-être que ça va m'apaiser. Je mets mes écouteurs. J'enclenche le minuteur sur une durée de trente minutes et j'appuie sur le bouton Play. Je reconnais la mélodie de My Immortal du groupe Evanescence. Peu à peu le sommeil me gagne.


Chapitre 11

Je me réveille brusquement. Craignant d'être en retard, je me précipite hors du lit. Un long bâillement s'échappe de ma bouche. Avant de sortir de ma chambre, je jette un coup d'œil vers mon radio réveil. Il affiche cinq heures. Je soupire. Pourtant mon envie de dormir s'est complètement envolée. Je range mon lit. Après quoi je me rends dans la cuisine pour me préparer un chocolat chaud. Je sors le cacao du placard en attendant que le lait chauffe. L'évènement d'hier continue de hanter mon esprit. Je souffle sur mon bol de chocolat pour tenter de le refroidir puis je bois une gorgée. La chaleur me brûle la langue. Je me dépêche d'avaler mais c'est pire. Maintenant c'est ma gorge qui brûle. Une sensation de chaleur intense envahit tout mon corps. J'inspire une goulée d'air par la bouche pour tenter d'apaiser ma langue toujours brûlante. Je décide d'attendre quelques minutes avant de boire à nouveau.

Je me rends dans le salon pour patienter. Allongée sur le canapé, je m'efforce de calmer mon esprit agité. En vain. Pourquoi tant d'incidents dans ma vie ? Pourquoi tant de maladresse ? Pourquoi autant de désespoir ? Une larme roule sur ma joue comme pour compléter ces questionnements sans réponse.

Je ferme les yeux. Quand je les ouvre, je me rends compte que j'ai dormi. Je me lève lentement les membres un peu courbaturés. Je m'étire longuement. Une fois dans la cuisine, en saisissant le bol de chocolat, je constate qu'il s'est refroidit. Peu importe, je n'ai plus soif de toute façon. Je me demande combien de temps s'est écoulé entre temps. Je vais dans ma chambre pour prendre mon portable. Après l'avoir déverrouillé, il affiche sept heures moins le quart. J'en conclus qu'il me reste du temps pour me préparer.

J'attends impatiemment l'arrivée du tramway. Malgré mes vêtements chauds, le vent glacial me transperce comme une lame de couteaux. Peu de temps après je suis arrivée. J'entre rapidement dans un bâtiment pour ne pas prendre froid. Malgré le chauffage, un frisson parcourt mon corps. Je choisis de me rendre à la cafétéria. J'y suis presque arrivée. La porte vitrée me permet de voir une file d'attente. Je ne m'en inquiète pas, mon cours ne commence que dans une demie heure. Je patiente en observant des étudiants siroter leur boisson chaude.

  • Vous désirez quelque chose madame ? M'interpelle quelqu'un.

Sortant de ma rêverie, je réponds :

  • Oui... je voudrais un cappuccino et un muffin au chocolat s'il vous plaît.
  • Très bien. Se contente-t-il de me dire en retour.

Peu de temps après, il me tend un plateau.

  • Ça fera 4,20€.

Je lui donne un billet de cinq euros. Puis il me rend la monnaie. Me voilà forcer de me trouver une place dans cette foule. Je parviens à en trouver une au fond de la salle au bout de cinq minutes. Quelque part à droite je reconnais Olga, Ninon et Diana. Mais je fais semblant de ne pas les voir. De toute façon, elles font de même. Une fois assise à ma place, je déguste mon muffin au chocolat. Je prends garde à ne pas me salir. Toute cette sucrerie me donne soif. En espérant que mon cappuccino s'est un peu refroidit, je le saisis entre mes mains. Je lui ôte son couvercle et de la fumée s'en échappe aussitôt. Je souffle dessus quatre fois d'affilés. Je bois une gorgée. La boisson n'est pas brûlante. J'en profite pour en boire plusieurs gorgées à la suite. Je regarde l'heure sur mon portable, plus que dix minutes. Je me débarrasse de mon plateau.

Je dois monter deux étages avant d'arriver sur le couloir menant vers l'amphithéâtre. Je me trouve sur un carrefour de couloirs lorsque j'aperçois Tatiana et Lisa en pleine discussion à environ deux mètres devant moi. Je me dirige en vitesse vers un couloir adjacent de celui que je dois suivre avant qu'elles ne m'aperçoivent. Je n'ai pas envie qu'elles me posent des questions sur ce qui s'est passé hier. Pourvu que je ne sois pas en retard implore-je dans mon fort intérieur. Je saisis mon portable au fond de ma poche. Plus que cinq minutes. Je constate également que j'ai reçu un texto. Il vient de mon frère. Je lis :

Salut petite sœur, désolée de ne pas t'avoir répondu hier soir. J'étais occupé.

Sinon, J'espère que tu vas bien !

En fait, maman m'a raconté que tu ne lui réponds pas au téléphone.

Elle te soupçonne de ne pas aller en cours !

Qu'est-ce qui se passe ? T'as un problème ?

« J'étais occupé » sans blague ! Pourquoi ma mère lui a dit ça ? Ça sent les embrouilles à plein nez. La colère bouillonne en moi mais il ne me reste plus qu'une minute pour me rendre en cours. Je cours le long du couloir désormais désert. Une fois devant la porte, je reprends mon souffle avant d'entrer tout en espérant qu'elle ne va pas grincer. J'entre rapidement. Je vois le professeur sur le point de s'installer sur son bureau. Je m'installe vers la place la plus proche de moi.

Je dois me rattraper dans ce cours. Je me concentre et je prends note de tous les éléments évoqués par le professeur. Ma prise de note est tout simplement plus claire et plus ordonnée que celle d'hier. C'est pourquoi quand la pause est annoncée, je suis satisfaite de moi. Je relis ce que j'ai écrit. Surlignant de temps à autre les points qui me paraissent important.

  • Salut ! Ça bosse dure on dirait ! Me lance la voix d'un jeune homme que je reconnais tout de suite.

Surprise, je lui souris et me contente de lui répondre « salut ».

  • Comment ça va ? Me questionne-t-il ensuite, certainement en référence par rapport à ce qui s'est produit hier.
  • Je vais bien merci.
  • Tu veux t'asseoir près de moi là-bas ? Me propose-t-il en désignant la rangée du milieu.
  • Pourquoi pas ! Dis-je. Je range mes affaires en vitesse et le suis.

Le cours reprend. Je continue de prendre mes notes avec sérieux. De ce fait, les deux heures de cours restant passent très vite. Comme d'habitude, je range mes affaires trop lentement. La salle est presque vide.

  • A plus ! On se revoit au prochain cours. M'annonce Maël.
  • Ouais ! C'est tout ce qui me viens à l'esprit.

Il s'en va. Une fois la porte refermée sur lui, je constate que je suis la seule dans la salle. Ayant peur que les évènements d'hier se répètent, je me hâte de partir. Je marche lentement dans le couloir. Les cours sont finis pour la journée. Je me demande ce que je vais me préparer comme repas ce midi. À force d'y réfléchir, je choisis de prendre une pizza en cours de route.

Je suis de nouveau dehors et l'air glacial me frappe de plein fouet. Je longe le bâtiment. L'allée mène vers le parking de l'université. Je tourne à l'angle de la rue. Je continue d'avancer quand j'aperçois deux silhouettes entrelacées près d'une voiture au milieu du parking. Un instant, je me dis que je connais ce manteau bleu. De plus en plus proche, l'évidence se présente à moi. C'est Maël. Paralysée sur place, je n'arrête pas de murmurer « non... non... non... ce n'est pas possible. Et moi qui gardait un imbécile espoir en moi. ». Je ferme les yeux comme pour nier la situation. Une voix froide s'élève près de moi. « À quoi tu t'attendais ! S'exclame-t-elle. Tu as beau fermer tes yeux, la réalité reste la réalité. Il ne t'aime pas, il aime une autre. ». Surprise, j'ouvre les yeux pour découvrir qui a dit ça. Personne. Je tourne la tête de tous les côtés. C'est elle. Un sourire narquois se dessine sur son visage. Puis elle disparaît derrière un bâtiment non loin de moi. Je m'y dirige. Je tourne l'angle du mur. Comme si elle pouvait sentir ma présence, elle s'arrête. Je la vois de dos. Je cours vers elle pour la saisir. Mais elle m'échappe de justesse en tournant à droite. Je la poursuis mais elle a disparu comme par magie. Incroyable.

Épuisée par cette course poursuite, je n'ai plus qu'une idée en tête. Rentrer chez moi au plus vite.

J'essaye d'ouvrir la porte. Cependant mes mains engourdies par le froid ont du mal à se mouvoir. Après quelques minutes, je finis par entrée. Une fois débarrassé de mes vêtements, je m'affale sur le canapé. Je pense machinalement aux évènements qui se sont déroulés. D'abord l'arrivée inexplicable du livre, la présence constante de la femme à capuchon, mes rêves tourmentés. Existe-t-il un lien entre ces trois choses. En tout cas, c'est la première fois que j'entends cette femme parler. Je ne peux pas m'abstenir de me demander qu'est-ce qui cloche chez moi ? Absolument tout ! Décrète ma conscience. Je me laisse peu à peu convaincre par cette sévère conclusion. Il est en effet possible que je n'aille pas bien. Mais comment le savoir ? Je poursuis mes réflexions sur un possible lien entre les trois évènements.

Il se pourrait que la femme dans mes rêves soit la même que celle qui porte la capuche. Dans les deux cas, je ne peux pas voir leur visage. Mais je ne comprends pas la raison de leur présence. Quant au livre, sa présence dans mon sac reste pour moi un mystère irrésolu. Comment diable a-t-il pu se trouver là-dedans ? Je n'ai pas d'explication rationnelle à mettre en place pour le résoudre.

C'est seulement lorsque mon estomac crie famine que je me rappelle que je devais m'acheter une pizza. Évidemment ça m'est passé par-dessus la tête vu que mon attention était entièrement occupée par cette affaire. L'envie de sortir par ce temps glacial ne m'enchante pas vraiment. Pourvu qu'il me reste quelque chose à manger.

En farfouillant dans mon congélateur, je déniche un paquet de potetoes. Après en avoir pris une bonne poignée, je les mets au four. Alors que j'attends, mon téléphone sonne. Tout en me précipitant dans le salon, je me demande qui ça peut bien être. C'est mon frère.

  • Allô ! Dis-je
  • Salut Bérénice, c'est Théo ! Cru-t-il bon de préciser.
  • Je sais, c'est afficher sur mon téléphone répliqué-je.
  • Comment tu vas ? Enchaîne-t-il sans tenir compte de ma remarque.
  • Bien !
  • Comment ça « bien » ? Insiste-t-il.
  • Bien comme je suis en bonne santé ! Dis-je en rigolant.
  • C'est quoi le problème avec maman ? Elle me dit que tu ne réponds pas au téléphone et quand elle en parle avec toi tu t'énerves ?
  • Elle m'appelle presque tous les jours et ça me gonfle ! Me plaigne-je aussitôt. Un rire me parvient au bout du fil. Je continue. J'ai le droit d'avoir une vie privée. Ça ne veut pas forcément dire que je ne vais pas en cours !
  • Justement, parle-moi de ta vie étudiante ! Tu t'es fait des amies ?
  • Oui ! Une fille sympa !
  • Et tu sors un peu ?
  • Tu sais bien que je n'aime pas sortir.
  • Ouais ! J'avais oublié se moque-t-il. En tout cas je t'appelle pour avoir de tes nouvelles.
  • Tu rentreras chez maman pour les vacances de Toussaint ? M'empresse-je de lui demander.
  • Ouais je vais essayer me répond-il.
  • Très bien.
  • Je te dis à bientôt et n'hésite pas à m'appeler si t'as un souci ajoute-t-il.
  • D'accord ! A plus !

Alors que je raccroche, le bip du four m'annonce que mon repas est prêt. Le reste de la soirée se déroule sans encombre. Je m'endors facilement.


Chapitre 12

Je suis devant une aire de jeu. Il fait nuit. Je regarde aux alentours, des immeubles se dressent à quelques mètres de moi. Les seuls éclairages proviennent de quatre lampadaires qui encerclent l'aire de jeu. Je m'avance pour pousser la porte devant moi. Une bourrasque de vent fait vaciller un cheval de bois d'avant en arrière. Quant à la toile d'araignée, elle tangue tellement que les cordes qui la composent sont tendues à l'extrême. Je continue d'avancer quand je m'aperçois que quelqu'un joue sur la balançoire. Intriguée, je m'approche.

  • Salut ! Dis-je pour l'aborder. Je ne parviens pas à voir son visage. Cependant grâce à sa robe, je sais qu'il s'agit d'une fille.

Elle arrête la balançoire à l'aide de son pied. Elle continue de se balancer encore quelques instants avant de s'immobiliser complètement. Elle me fait signe de m'approcher. Je suis à environ un mètre d'elle et la stupeur me laisse sans voix. Un sourire s'affiche sur son visage. Ou devrais-je dire Mon visage. C'est un sourire bienveillant, mais ça ne m'empêche pas de ressentir un frisson de frayeur.

  • N'ai pas peur ! Je suis là pour t'aider m'annonce-t-elle d'une voix tranquille. (Facile à dire !)

Serait-ce ma voix qui vient de parler ? Impossible à déterminer. Les yeux fixés sur ce double de moi, je reste paralysée sur place.

  • Viens t'asseoir près de moi me propose-t-elle en désignant l'autre banc de la balançoire.

J'obtempère comme une automate.

  • Tu peux m'appeler Romy m'apprend-elle peu de temps après.

J'acquiesce, fascinée et un peu apeurée parce qu'il s'agit de mon prénom préféré. Je suis sur le point de décliner mon identité mais elle me stoppe d'un signe de main.

  • Je sais qui tu es ! Déclare-t-elle.

Un éclat de rire s'échappe de ma bouche contre mon gré.

  • Je suis ravie que tu t'amuses me dit-elle en retour. De quoi voudrais-tu qu'on parle me questionne-t-elle ensuite.

Étonnée par cette question, je prends mon temps pour réfléchir. Quant à elle, elle patiente tranquillement à mes côtés. J'en profite pour l'observer en douce du coin de l'œil. Elle contemple le ciel. Sa ressemblance avec moi est stupéfiante. Néanmoins, je note une différence essentielle à mes yeux, elle est mince et moi je suis ronde. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle me dit :

  • Je ne suis qu'une simple représentation de toi-même. Autrement dit, je suis tel que tu as envie de me voir.
  • Tu n'es donc pas réelle ?
  • J'existe dans ton fort intérieur.

Une pensée me traverse l'esprit.

  • Ne serais-tu pas la jeune femme que j'ai aperçu dans mon rêve où je me trouvais sur une plage ?
  • C'est possible se contente-t-elle de dire.
  • Alors pourquoi m'avoir fui ?
  • Je ne t'ai pas fui, c'est toi qui n'était pas prête à me voir.
  • Pourquoi tu es là alors ?
  • Il se peut que tu sois enfin prête.
  • Que je suis prête à quoi exactement ? Demande-je interloquée.
  • A entendre ce que j'ai à te dire.
  • Qu'as-tu à me dire ?
  • Patience, je vais y venir.

Elle marque une pause. Je brûle d'impatience.

  • C'est peut-être sur ce point-là que je vais commencer.

J'ouvre la bouche pour l'interroger sur ce qu'elle entend par là quand elle reprend.

  • La valeur de la patience. Tu n'es pas patiente. Tu veux tout, tout de suite. Tu es sans arrêt en train de courir. Tu te précipites tête la première comme si tu étais poursuivie par un monstre...

Surprise par cette déclaration, je reste silencieuse. Imperturbable, elle poursuit son analyse.

  • ... tu t'es posée récemment la question suivante : pourquoi suis-je maladroite ? Eh bien la réponse est simple, tu ne cesses pas de te dépêcher. Pourquoi cette prise de vitesse effrénée ? Prend ton temps.

Je reste hébétée. Je suis incapable de la contredire. C'est en vain que je cherche une excuse. Je la vois du coin de l'œil m'observer.

  • Quand je t'observe, tu as la tête baissée, les épaules affaissées et tu évites soigneusement de croiser mon regard. Tu ressembles à un enfant apeuré et sans défense...

Mes larmes coulent sur mes joues sans que je puisse les retenir.

  • ... il ne sert à rien de pleurer. Ça ne va pas t'aider.
  • Alors qu'est-ce qui va m'aider Hein !!! Hurlé-je.
  • De regarder tes difficultés en face, de les accepter et de chercher une solution plutôt que de les subir et pleurer.
  • Peut-être mais pleurer ça fait du bien ! Dis-je entre deux sanglots.
  • Oui ça fait du bien mais pour combien de temps ? Dis-moi, qu'est-ce que tu veux vraiment ? Être bien uniquement quelques instants ou tout le temps ?

Je ne réponds pas à la question. Un mélange de profond chagrin et de colère m'habite.

  • Je suggère que tu fasses une liste de tes difficultés me souffle-t-elle avec une douceur à laquelle je ne m'attendais pas.
  • La liste sera trop longue ! Ne pus-je m'empêcher de dire.
  • Alors travaillons ensemble à la réduire me réplique-t-elle.

Je lui jette un coup d'œil. Elle me sourit en signe d'encouragement. Peut-être qu'elle veut vraiment m'aider pensé-je.

  • Nous pouvons commencer par ton comportement en général. Lève-toi ! m'intime-t-elle.

Je m'exécute aussitôt. Nous voilà debout face à face.

  • Tu devrais te tenir plus droite, le Menton haut...

Il m'est impossible d'entendre la suite. Un son aiguë fait bourdonner mes oreilles. La silhouette de Romy devient floue devant moi.

  • ... souviens-toi le début du changement commence par une bonne posture. Entendis-je encore avant que le décor ne disparaisse complètement.

En plus du son qui continue de me titiller, une douleur traverse ma nuque. J'ouvre les yeux. Je tape d'un coup sec sur le réveil. J'accueille le silence avec joie. Je m'assois pour masser ma nuque douloureuse. J'ai dû prendre une mauvaise position en dormant. J'étire mon cou en faisant un mouvement circulaire. Une chance qu'on soit samedi. Je repense à mon rêve. J'ai besoin de réfléchir à propos de son interprétation. C'est pourquoi, je dois rester ici au studio, au calme. En sortant du lit, je saisis mon portable qui affiche neuf heures et demie du matin. Il faut que j'appelle ma mère pour lui annoncer que je ne viens pas ce week-end. Je grimace à l'idée qu'elle va me bombarder de questions. Tant pis, s'il faut passer par là pour avoir un peu de solitude, je prends le risque. En cherchant son numéro dans l'onglet contacts, je clique par erreur sur l'onglet calendrier. Je remarque que les vacances de Toussaint arrivent bientôt. Je ne sais pas trop si je dois m'en réjouir ou pas. Je trouve enfin son numéro. J'appuie sur le bouton vert pour appeler.

  • Bérénice ? Entendis-je à l'autre bout du fil avec une intonation d'interrogation.
  • Bonjour maman, je t'appelle pour te dire que je ne viens pas ce week-end.
  • Pourquoi ? Tu as un problème ? S'empresse-t-elle aussitôt de me questionner. C'est parque j'ai raconté à ton frère notre discussion de la dernière fois ?
  • Non, maman je n'ai pas de problème et ce n'est pas non plus à cause de notre discussion. J'ai simplement envie de tranquillité.
  • C'est tranquille à la maison réplique-t-elle. Puis je vais préparer une lasagne pour ce midi. Ça ne te dit pas une lasagne pour te remonter le moral ?

Je souris.

  • Maman, c'est gentil à toi de dire ça mais je goûterais ton lasagne une autre fois d'accord ?

La réponse met longtemps à venir. Maman tu es toujours là dis-je au bout d'un moment.

  • Oui, je suis toujours là. Tu sais Bérénice, j'aimerai bien pouvoir t'aider mais je ne saurai pas le faire si tu ne te confie pas. Ajoute-t-elle.
  • Maman, encore une fois, merci. Mais vouloir être seule un week-end ne veut pas dire ne pas aller bien !
  • Peut-être mais tu t'isoles et ce n'est pas bien. Mais puisque c'est ta volonté alors reste là-bas.
  • Merci maman, je te fais de gros bisous et à bientôt !
  • Au revoir ma chérie.

Je raccroche un peu émue. Lorsque j'ai finis de me préparer, il est presque onze heures. Je prends un paquet de biscuit dans le placard de la cuisine. Je me rends dans le salon pour y regarder la télévision. Je navigue de chaînes en chaîne quand mon portable sonne. Théo. Je baisse le son de la télé et je décroche.

  • Salut grand-frère ! quoi de neuf ?
  • Salut ! Tu m'as l'air enthousiaste.
  • Et pourquoi je ne serais pas enthousiaste ?
  • Je viens d'avoir maman au téléphone...

Quoi elle t'a déjà... je ne peux pas poursuivre parce qu'il m'interrompe.

  • ... non écoute moi ! Je l'ai eu au téléphone mais on n'a pas parler de toi. Je te signale que je suis aussi son enfant et qu'elle s'intéresse à moi ! Mais j'en déduis que vous vous êtes aussi parler et que tu ne rentres pas ce week-end. Qu'est-ce qui se passe Bérénice ?
  • Rien, j'ai juste besoin de tranquillité c'est tout.
  • En t'isolant toute seule entre les quatre murs de ton appart ? C'est ça que t'appelles être tranquille ?
  • C'est drôle, maman aussi à parler d'isolement remarqué-je. Et tu dis que vous n'avez pas parler de moi.
  • Maman n'a pas besoin de me dire ça pour que je devine que tu t'isoles Bérénice. Quand je t'ai posé la question la dernière fois, est-ce que tu sors de chez toi ? Tu ne m'as répondu non...

Je m'apprête à répliquer mais il me stoppe.

  • ... non Bérénice écoute. Voilà ce que je te propose, c'est bientôt les vacances de Toussaint, je vais rentrer chez maman et tu rentreras aussi d'accord !!

Je ne trouve aucune excuse pour refuser.

  • Très bien j'y serai concède-je.
  • Parfait, je compte sur toi alors ! A bientôt.

On raccroche ensemble.


Chapitre 13

J'ai trouvé cette dernière semaine de cours plutôt éprouvante. En effet, il m'était impossible de fuir constamment Tatiana. Au final, je lui ai menti en lui faisant croire que j'ai prêté un de mes cours à Maël. Forte heureusement, elle n'a pas trop insisté sur les détails. A part ça, rien de spécial ne s'est produit.

Il me faut maintenant préparer ma valise pour passer les vacances de Toussaint dans mon autre maison. C'est ainsi que je l'appelle car je considère que désormais j'habite dans deux maisons différentes. Je prends une dizaine de minutes pour sélectionner mes vêtements dans l'armoire. Ils sont maintenant bien rangés dans ma valise. Je tente d'insérer quelques livres dans les recoins de celle-ci. Je réussis à en placer deux entre un Jean et un pull. Mais pas les trois autres. Tant pis, je les mettrai dans mon sac à main. En rangeant mes livres, je tombe sur le fameux livre de Balzac. Je le saisis entre mes mains. Je ne comprends toujours pas comment il s'est retrouvé dans mon sac. Ni pourquoi je ne l'ai pas remarqué plus tôt. Indécise, je ne sais pas trop ce que je dois en faire. Finalement, je choisis de le laisser ici ainsi que tous les questionnements sans réponses de ces derniers temps. Ravie d'avoir préparé mes bagages ce vendredi soir pour m'en aller demain matin, je m'endors tranquillement.

Il y a peu de monde dans le train pour mon grand plaisir. Il est neuf heures du matin et je viens de m'installer confortablement sur les places à quatre personnes. Le train vient à peine de rouler quand mon portable vibre. C'est mon frère qui m'annonce qu'il vient me chercher à la gare. Je lui envoie un message de remerciement contente de son initiative. Je serais arrivée dans une heure et quart environ. Je m'empresse de sortir sur le quai une fois que le train s'est enfin immobilisé. Je traîne ma valise derrière moi avant d'être obligée de le porter à bout de bras pour monter les escaliers. Une fois arrivée dans le hall de la gare, mon frère me rejoint aussitôt. Il prend ma valise de mes mains tout en me disant « bonjour ».

  • Tu es arrivé quand ? Lui questionné-je alors que nous nous installons dans la voiture.
  • Hier soir ! Me répond-il.
  • Tu sais ce qu'on va manger ce midi ?

Il sourit avant de me répondre :

  • Tu verras bien !!
  • Dis-le-moi s'il te plait ! Le supplié-je.

Il rit de mon impatiente sans pour autant me donner un seul indice. Puis il allume le moteur de la voiture. Au bout d'une vingtaine de minutes, nous sommes arrivées devant le portail de la maison. Je sors de la voiture pour l'ouvrir. J'ouvre le coffre pour saisir ma valise mais mon frère me fait signe qu'il va la prendre.

J'entre la première dans le vestibule. Je monte dans ma chambre pour y déposer mon sac. Mon frère me suit de près portant ma valise. Il la dépose près de mon armoire. Quelques minutes plus tard, nous sommes à table. Nous mangeons une salade de tomate en guise d'entrée, le plat principal est un gratin aux courgettes.

  • Alors est-ce que vous aimez ? Demande ma mère.
  • C'est délicieux ! Répondons mon frère et moi en cœur.

Nous mangeons pendant quelques instants en silence quand Théo s'exclame :

  • Avant que j'oublie, Steeve organise une fête pour Halloween, tu veux venir Bérénice ? Me questionne-t-il d'un air innocent.
  • Il y a beaucoup de monde à cette fête ? Interrogé-je prudemment.
  • Une vingtaine ou trentaine de personnes tout au plus je dirais.
  • Humm ! Fis-je tout en hochant le tête.
  • Alors ça t'intéresse ou pas ? Insiste-t-il.
  • Pas vraiment ! Tu sais très bien que je déteste danser. Et en plus je ne connais aucun des invités.
  • Ce n'est pas grave tu peux faire connaissance avec les gens. Personne ne s'intéressera à ta façon de danser, ce qui est important c'est de s'amuser.
  • De toute façon Steeve ne m'a pas invité lui-même.
  • C'est tout ce qui te gêne dans cette fête ?
  • Qu'est-ce-que tu veux dire par-là ?
  • Le fait de ne pas avoir été invitée par Steeve !
  • Oui ça me semble essentiel que celui qui organise la fête m'invite lui-même.
  • Ok.

Sur ce « ok » qui me paraît énigmatique, il n'ajoute plus rien sur ce sujet. L'après-midi, je me promène dans le mini parc non loin de la maison. Il est quatre heures de l'après-midi lorsque je suis arrivée devant le portail. Je traverse le couloir lorsque j'entends des rire joyeux qui proviennent du salon. Je tourne brièvement la tête. Je reconnais Steeve le meilleur ami de mon frère et ce dernier le regard fixé sur l'ordinateur hilare. Je me détourne d'eux pour poursuivre mon chemin quand Steeve m'interpelle à mon grand étonnement.

  • Salut Bérénice ! Tu peux venir un instant s'il te plait ?

N'ayant pas le choix, je me dirige vers eux.

  • Si tu veux, tu peux venir à ma fête d'Halloween. M'annonce-t-il.

Je me dandine d'un pied à l'autre mal à l'aise. Je jette un coup d'œil furieux à mon

« Imbécile » de frère mais il ne me regarde pas.

  • C'est gentil de ta part de m'inviter mais je n'aime pas trop Halloween et de toute façon, je n'ai pas de costume. Dis-je sans détour.
  • Je connais un magasin de costume qui n'est pas trop cher et les costumes qu'il propose ne sont pas mal du tout !
  • Et qu'en dis-tu du fait que je n'aime pas Halloween ?
  • Qu'est-ce que tu n'aimes pas dans cette fête ?
  • Pratiquement tout ! Affirmé-je de but en blanc.
  • Ça ne me dit pas vraiment ce que tu n'aimes pas ! Remarque-t-il.

Agacée par ses questionnements, je déclare que j'irais à sa fête si ça lui fait plaisir. Sur cette parole, je m'en vais en prétextant que j'ai un truc à faire. Aucun des deux ne me retient. Je monte la première marche de l'escalier quand j'entends mon frère qui s'exclame « waouh ! Je suis impressionné par la façon dont tu l'as convaincu !» trop énervée pour en entendre plus, je me dépêche de filer dans ma chambre.

Les jours suivants, j'alterne entre promenade et lecture afin de prendre de l'avance sur mes devoirs maisons. Cependant, deux jours avant la dite fête, mon frère insiste pour m'accompagner au magasin de costume. En y sortant, je suis la propriétaire d'un costume de chasseur de vampire avec comme accessoire une petite arbalète en plastique.

Le jour de la fête fatidique arrive. Je ne mets pas longtemps à enfiler mon déguisement. En à peine une demi-heure je suis prête. Je frappe à la porte de la chambre de mon frère. Une minute entendis-je. J'attends. Cinq minutes plus tard, il m'autorise à entrer. Il a fini de mettre son déguisement, cependant, il est pied nue. Je pars dans un éclat de rire en le voyant ainsi. Il est censé être l'horrible monstre du docteur Frankenstein.

  • Tu peux m'aider à enfiler mes chaussures s'il te plait ?

Toujours en riant, je m'approche de lui.

  • Tu peux t'asseoir ou pas ?

Il tente de s'asseoir sur le bord de son lit tant bien que mal. Une fois assis, je lui mets ses chaussures.

  • C'est en zombie de cendrillon que tu devrais être déguisé, plaisante-je.
  • Je suis un mec pas une fille ça ne collera pas ! Me réplique-t-il en retour. Puis ce ne sont pas des chaussures en verre ! Ajoute-t-il.
  • Heureusement que tu ne conduis pas ! Remarqué-je.

Steeve vient nous chercher un quart d'heure après. Il s'esclaffe à la vue du déguisement de mon frère.

  • Waouh ! Tu déchires mon pote ! Dit-il.
  • T'es pas mal non plus comme monstre mec ! Lui retourne Théo.

Il est déguisé en Dracula. Son costume consiste en un long juste au corps noir avec sur son dos une magnifique cape noire. Je détourne mon regard lorsqu'il s'adresse à moi :

  • Tu ne m'effraies pas ô puissante chasseuse de vampire ! S'exclame-t-il théâtralement.
  • Vous ne me faites pas peur non plus vampire Dracula car je suis armée de ma plus puissante arme ! M'exprime-je en lui montrant mon arbalète en plastique accroché à ma ceinture.

Il sourit, montrant ses dents de vampire. « Eh Ben ! Il y a vraiment des gens qui prennent la fête d'Halloween au sérieux » pensé-je intérieurement.

La moitié des invités sont déjà arrivés lorsque nous entrons dans une salle géante éclairée par une unique lumière semblable à celle que l'on trouve dans les boîtes de nuit. Tout le long du mur, des tables ont été alignées les unes après les autres. Des assortiments de bonbons, d'apéritif, de fromage, de divers petits gâteaux sont posés sur ces tables en guise de buffet. Une diversité de boisson sont disposées tout spécialement sur deux tables. Une jeune femme déguisée en sorcière deviné-je grâce à son chapeau pointu se trouve derrière pour servir les boissons. Je suppose qu'il s'agit de la sœur de Steeve. Je déambule dans la salle sans trop savoir quoi faire. Quelqu'un me touche l'épaule. Je me retourne surprise. Je reconnais le déguisement de Steeve. Il me tend une boisson. Je le prends entre mes mains en le remerciant sans être sûre qu'il m'est entendu. Je m'approche de son oreille et lui demande :

  • Tu sais où est passé mon frère ?

Il hausse les épaules en signe de dénégation. Je bois une gorgée de ma boisson. Un fort goût d'alcool réchauffe mes poumons. Je m'approche de nouveau de Steeve pour le questionner :

  • C'est quoi comme boisson ?
  • Du jus d'orange mélangée à de la vodka et un peu de menthe ! Pourquoi ?
  • C'est un peu fort pour moi. Je vais reprendre une autre boisson sans alcool.

Il acquiesce et me laisse partir. J'arrive devant la serveuse de boisson.

  • Je pourrais avoir une boisson sans alcool s'il te plait ?

Elle me tend du coca. Je la remercie et je pars me chercher un coin pour m'asseoir. Alors que je me fraye un chemin parmi la foule, une personne me frôle. Je regarde de son côté dans le but de m'excuser, c'est encore Elle. Sans y prendre garde, je lâche ma boisson qui finit sa trajectoire au sol éclaboussant tous les danseurs à ma proximité. Surpris ses derniers s'écartent vivement. J'entends vaguement quelqu'un prononcer « elle est bourrée celle-là ! ». Je ramasse mon verre, quant à son contenu renversé, je ne peux rien faire. Mes pas empressés me ramènent vers le stand des boissons.

  • Cette boisson que tu m'as donnée est vraiment sans alcool ! Hurlé-je pour couvrir le bruit de la musique.
  • Oui comme tu me l'as demandé ! Me répond-elle avec étonnement.

Le brouhaha et le son de la musique me sont de plus en plus insupportable, ma tête tourne. Je veux prendre l'air. Je longe les tables pour aller vers la porte de sortie. Elle se trouve à quelques mètres de moi, proche de la sortie. Oubliant mon mal de crâne, je cours vers elle, vers la porte. Une fois dehors, je veux continuer à la poursuivre mais mes jambes ne me répondent plus. Alors que je tente de marcher, je m'affale par terre. Avant de toucher le sol, quelqu'un crie mon nom puis je sombre dans l'inconscient.


Chapitre 14

Une lumière éblouissante dont je ne parviens pas à identifier l'origine agresse mes yeux. Je mets mes mains un peu au-dessus de mon front pour m'en protéger. Je clignote des yeux plusieurs fois lorsque je m'aperçois que je suis assise par terre sur du gazon. En regardant à côté de moi, je vois un banc de libre. Je me lève péniblement pour m'y asseoir.

Mes yeux commencent peu à peu à s'adapter à cette vive lumière. Après un rapide coup d'œil, je me rends compte que la lumière vient du soleil et que je me trouve dans un parc. Perdue dans mes pensées, je suis surprise par une ombre qui s'approche de moi. Je me lève promptement pour lui faire face le cœur battant. Je reconnais Romy avec soulagement.

  • Tu m'as fait peur ! M'exclamé-je.
  • Tu as peur de toi-même ! Voilà un intéressant sujet de conversation me dit-elle.
  • Disons que tu as l'art de me surprendre à chaque fois ! Répliqué-je mi-figue mi-raisin.

Elle prend place à côté de moi. Nous gardons le silence pendant un moment.

  • As-tu réfléchi à toutes les choses que tu voudrais changer en toi ? Me questionne-t-elle au bout d'un moment.
  • Il y a tellement de choses que j'aimerai changer ! (Je prends une pause). (Je poursuis) je voudrais être moins anxieuse, me sentir plus libre de faire ce que j'ai envie de faire sans me préoccuper de ce que va penser les autres. Je voudrais ne plus rougir quand je donne mon avis...

Je m'apprête à poursuivre la liste des changements que je veux dans ma vie mais je stoppe consciente que Romy m'observe attentivement.

  • Tu vois que tu as envie de modifier des choses dans ta vie !
  • Oui mais avoir envie c'est une chose mais être dans le mouvement du changement me semble impossible.
  • Pourquoi ? En disant cela tu deviens toi-même ton propre obstacle. Qu'est-ce que tu crois ? Que c'est dans l'immobilisme que ta vie va changer ? Bien sûr que non. Pour reprendre ta formulation, c'est par le mouvement que cela sera possible. Parmi toutes ses choses que tu viens de me citer, sans trop réfléchir, laquelle souhaites-tu accomplir en premier ?
  • Celui d'être moins anxieuse.
  • Très bien, maintenant dis-moi pourquoi c'est la première chose que tu désires corriger.
  • Parce que mon anxiété m'asphyxie. C'est elle qui m'empêche de me sentir libre d'être moi-même, de m'accepter comme je suis, de m'aimer. L'anxiété est la souffrance vivante qui m'habite.

Romy me sourit. Il faut dire que je suis moi-même surprise de ma propre révélation. Je ne me suis jamais auparavant avouée à moi-même tout ce que je ressens.

  • Tu vas bientôt te réveiller, n'oublie pas ce que tu viens de me dire !

En effet, son visage devient de plus en plus flou pour finalement disparaître complètement. Mes membres sont engourdis. J'ouvre les yeux. Je suis un peu désorientée. Je lève la tête afin d'essayer de repérer des indices sur l'endroit où je me trouve.

  • Doucement ! Me dit mon frère.

Il m'aide à m'asseoir et dispose deux oreillers derrières mon dos pour m'appuyer.

  • Je suis à l'hôpital ?
  • Oui. Me répond-il
  • Qu'est-ce qui s'est passé ?

Il est vrai que je ne me souviens plus de grand-chose.

  • Tu étais sur la piste de danse, tu as vu quelque chose ou quelqu'un et tu as lâchée ton verre. Puis tu as couru vers la porte et quand j'ai voulu te rattraper, tu t'es évanouie.

Son récit rafraîchit peu à peu mes souvenirs. Je repense à la fille encapuchonnée. Mais qu'est-ce qu'elle me veut à la fin ? Un doute s'installe dans mon esprit. Avais-je trop bu d'alcool ? Après tout je n'ai bu qu'une seule gorgée de la boisson alcoolisée que Steeve m'avait donné. Quant au deuxième boisson la serveuse m'a assuré qu'elle n'était alcoolisée. Mon frère me tire de mes pensées ?

  • Comment tu te sens ?
  • Je me sens un peu engourdie mais sinon je me sens bien. Ça fait longtemps que je suis ici ?
  • Ça fait à peu près trois quarts d'heure.
  • Qu'est-ce que le médecin a dit quand j'étais inconsciente ?
  • Il m'a interrogé sur ce qui s'est passé. Je lui ai raconté ce que je t'ai dit. Puis il m'a demandé si tu avais bu. Je lui ai dit que je ne sais pas. Steeve a précisé qu'il t'a donné un verre alcoolisé mais il a précisé que tu ne l'as pas bu en entier. Du coup le médecin a recommandé de te laisser dormir. Ensuite il t'a prélevé du sang pour y connaître la quantité d'alcool.
  • Steeve est venu avec toi ?
  • Oui, je te rappelle que ma voiture est à la maison. D'ailleurs, il est dans la salle d'attente là.

À l'évocation de la maison, je pense aussitôt à ma mère.

  • Est-ce que tu as appelé maman ?
  • Non. Inutile de l'inquiéter. Après tout, il y a eu plus de peur que de mal.

Nous attendons le résultat avec impatience.

  • Il est qu'elle heure ?
  • Il est quatre heures moins le quart.

Je remarque qu'il ne porte plus son déguisement.

  • Tu t'es changé quand ? Lui demandé-je.
  • Pendant que tu dormais Steeve et moi sommes rentrés chez lui et il m'a prêté ses vêtements.

Il est quatre heures du matin lorsque le médecin arrive enfin.

  • Bonjour madame ! (Il me paraît curieux de m'appeler madame). Comment vous sentez vous ?
  • Je me sens plutôt bien.
  • Pas de nausée ? Ni de mal de tête ? Ni de vertige

Je secoue la tête en signe de dénégation.

  • Votre prise de sang a révélé un faible taux d'alcool. C'est déjà une bonne chose ! Cependant, il faut y aller doucement avec l'alcool...
  • Je n'ai bu qu'une gorgée ! Précisé-je

Il ne m'a pas l'air très convaincu.

  • ... il vous arrive de faire des crises d'angoisse ? Poursuit-il
  • Jusqu'à maintenant jamais.
  • Votre frère m'a dit que vous avez couru comme pour rattraper quelqu'un. Est-ce que vous vous souvenez de cette scène ?
  • Oui mais vaguement. Dis-je prudemment. Est-ce que je vais passer la nuit ici où je peux rentrer chez moi docteur ? Posé-je comme question afin de détourner la conversation.
  • Vous pouvez partir mais je vous recommande d'aller vous reposer tout de suite une fois arrivée chez vous.
  • Très bien ! Dis-je soulagée.
  • Je vous dis au revoir ! Portez-vous bien.
  • Merci. Au revoir docteur.

Mon frère m'aide à me lever du lit. Puis nous nous dirigeons vers la sortie. On passe par la salle d'attente. Steeve ne nous voit pas parce qu'il nous tourne le dos. Je remarque que lui aussi s'est changé comme mon frère. Je me retrouve donc seule à être encore déguisée. Théo entre dans la salle pour l'appeler.

  • Salut Bérénice ! Comment tu te sens ? Me demande-t-il d'un air inquiet.
  • Je vais bien merci.

Il nous ramène à la maison en un rien de temps. Avant d'entrer chez moi je ne peux pas m'empêcher de lui dire :

  • Je suis désolée d'avoir gâché ta fête Steeve.
  • Ce n'est pas ta faute Bérénice ! S'exclame-t-il d'un ton désemparé.

Je ne voulais pas le mettre mal à l'aise.

  • Merci de nous avoir ramené ! Ajouté-je.

Mon frère ne dit rien, mais il nous regarde d'un air entendu. Je me détourne et entre dans le vestibule. Je me dépêche de monter dans ma chambre pour éviter de discuter avec mon frère.

Une fois mon pyjama enfilé, je m'allonge sur mon lit et le sommeil me gagne immédiatement.


Chapitre 15

Cela fait un mois que les cours ont repris depuis les vacances de Toussaint. Les jours se défilent, monotones me laissant morose et peu enthousiaste. Les examens du premier semestre approchent. Cependant mes pensées sont tournées vers les paroles que Romy m'a dites. Si je veux que ma vie change, je dois me mettre en action. Mais je ne vois pas comment m'y prendre. J'y réfléchi durant au moins une heure. Je me mets face au miroir. J'observe mon profil sans pouvoir m'abstenir de remarquer mes rondeurs. Rien qui soit motivant. C'est sûr que si tu penses comme ça ! Tu n'es pas sortie d'affaire ! me rit au nez ma conscience. Pour une fois elle a raison. Une illumination traverse mon esprit. Pourquoi ne commencerai-je pas par changer de tête. C'est décidé, je vais aller chez le coiffeur. Il ne me reste plus qu'à trouver le salon de coiffure. J'hésite entre les salons du centre-ville ou ceux des centres commerciaux. Qu'importe ! Aussitôt dit aussitôt fait. Je me rends dans un salon de coiffure en ville.

  • Bonjour Madame. Me dit une coiffeuse à proximité en me regardant d'un air d'attente.
  • Bonjour Madame, je voudrais un shampoing, coupe, brushing s'il vous plaît.
  • Très bien. Vous souhaitez prendre un soin démêlant ?
  • Est-ce que c'est vraiment nécessaire ? Demandé-je tout en me doutant qu'elle répondra forcément « oui ».
  • Vous avez les cheveux un peu bouclés analyse-t-elle, le soin démêlant aidera à les adoucir.

Qu'à cela ne tienne ! Je prends le risque d'accepter. Je dépose mon sac à main et mon manteau à l'endroit qu'elle m'indique. Je ressens une sensation agréable et apaisante lorsque que la coiffeuse me masse légèrement le crâne après avoir induit du shampoing. Une dizaine de minutes plus tard, je suis assise devant le miroir. Je vois son reflet équipé d'une paire de ciseaux.

  • Tenez votre tête droite ! Me donne-t-elle pour consigne.

Deux minutes plus tard, des boucles brunes tombent par terre. Puis la chaleur du brushing m'encercle de toute part. Une expression dit qu'il faut souffrir pour être belle. J'espère juste que subir toute cette chaleur en vaut la peine. Une demi-heure plus tard, je contemple ma nouvelle coiffure. Désormais mes cheveux m'arrivent jusqu'à la moitié de ma nuque. La coiffeuse passe autour de moi tenant un miroir à la main afin de me permettre de voir l'arrière de ma chevelure.

Une fois sortie du salon de coiffure, motivée par ce changement, je pousse plus loin ma démarche. En effet, je me rends ensuite dans une boutique de produit de beauté. Je m'y procure des crèmes du jour et de nuit ainsi qu'un fond de teint. Après quoi je décide de rentrer au studio afin de ne pas dilapider mon compte bancaire.

Le résultat de tout ça consiste en une nette amélioration de mon humeur. Me voilà beaucoup plus optimiste. Face au miroir de ma salle de bain, je souris à mon reflet. Et je déclare « je crois au changement ». On verra pour combien de temps ironise ma conscience douteuse. Aussi longtemps que je le veux la nargue-je. C'est donc de bonne humeur que je passe ma soirée à me préparer des tortellinis au jambon fromage pour mon dîner. J'allume ma lampe veilleuse étoilée pour favoriser une ambiance rêveuse et ça marche. Quelques minutes plus tard, je m'endors profondément.

Je me lève toujours contente pour me rendre en cours ce matin. Je me prépare tranquillement sans me presser tout comme Romy me l'a recommandé. Je prends le temps de prendre mon petit déjeuner assise dans la cuisine et non pas à la dernière minute comme je le fais d'habitude. Je m'assure tout de même à ne pas dépasser une vingtaine de minutes tout au plus. Je suis prête à temps sans surprise. Je me rends sereinement vers la station de tramway. Toujours compressée comme tous les matins, mais cela est indépendamment de moi pensé-je, j'arrive en un rien de temps au campus.

Je marche d'un pas assuré tout en essayant de me tenir droite. J'entre dans le couloir menant vers l'amphithéâtre, quand une personne m'interpelle :

  • Salut Bérénice !
  • Bonjour Maël ! Quoi de neuf ?
  • Rien de spécial à part des révisions intenses pour les partiels qui arrivent et toi ?
  • Rien de particulier à part les révisions pour les partiels Comme toi.

Nous entrons dans la salle de l'amphithéâtre ensemble. Il choisit une place environ au milieu de la salle.

  • En fait ! Ça te va bien ta nouvelle coupe de cheveux !
  • Merci ! Dis-je en souriant.

Je ne me sens pas trop à l'aise à cette place. J'éprouve une intuition désagréable sans trop savoir pourquoi.

  • Tu ne veux pas qu'on change de place s'il te plait ? Demande-je au bout d'un moment.

Surpris il dit :

  • Pourquoi ? Tu voudrais qu'on se mette où ?

Excellente question. Il n'y a guère plus de place nulle part. Nous sommes contraints de rester à notre place.

  • Ce n'est pas grave ! Annonce-je.

Le cours débute, le silence entre nous s'impose. J'attaque ma prise de notes avec un sentiment croissant d'embarras inexplicable. Enfin bon sens ! Que m'arrive-t-il ? Durant la moitié du cours avant la pause, ce sentiment ne me quitte pas. Quel contraste par rapport au calme de ce matin me dis-je à moi-même dans mon fort intérieur.

L'heure de la pause arrive. Un brouhaha général s'élève de la salle. C'est à ce moment-là que je me rends compte avec horreur que juste devant se trouve Olga, Ninon et Diana. Il ne manquait plus que ça ! Comment avais-je pu ne pas reconnaître la chevelure d'Olga ? Me morigéné-je moi-même. Il est maintenant trop tard.

  • Tu es silencieuse remarque mon voisin ! Tout va bien ?
  • Oui ça va ! Dis-je embarrassé sans toutefois oser entamer une discussion.

Soudain, ce que je crains plus que tout se produit. Olga se retourne. Elle a sans doute reconnu ma voix. Misère. Mon corps en reste paralysé.

  • Salut, ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu ! S'exclame-t-elle.

Sans blague ! Bouillonne-je à l'intérieur de moi.

  • Salut ! Oui ça fait longtemps essaye-je d'exprimer en faignant l'enthousiasme.
  • Tu t'es coupé les cheveux ?
  • Oui. C'est tout ce que je me contente de répondre.
  • Tu as payé combien ?

Cette question est une énorme blague n'est-ce pas ?

  • Pourquoi tu veux le savoir argué-je ?
  • Ben ! Juste comme ça !
  • Je ne te le dirais pas ! Affirmé-je.
  • Allez dis-le moi juste comme ça.

Excédé et sans trouver d'issue, je me sens obligée de répondre :

  • Dans les 50€ environ.
  • Waouh ! Je pense que tu t'es fait arnaquer me dit-elle de but en blanc.

Ne trouvant rien à répondre, le cours reprend. Je tente de ne pas penser à ce qu'elle vient de me dire durant le reste du cours. Finalement, mon impatience est à son paroxysme peu de temps avant la fin du cours. Pourtant il me faut rester jusqu'au bout. A la fin, je ramasse mes affaires plus vite qu'habituellement. Je me tourne vers Maël et lui dit au revoir brièvement avant de partir en trombe.

Je marche pensivement vers l'arrêt du tramway. Je maudis mon cours de TD d'Anglais de cet après-midi. Néanmoins, après le déjeuner, je m'y rends. Cependant je suis à peine concentrée sur le texte auquel nous sommes en train de travailler. C'est avec soulagement que je vois arrivée quatre heure de l'après-midi.

Arrivée au studio, mes pensées se tournent naturellement sur cette parole que j'estime injurieuse. Qu'est-ce qui lui permet de me cracher ça à la figure ? Je ne comprends pas. C'est en vain que je cherche une explication rationnelle. Je me sens énervée, contrariée et épuisée. Tout mon optimisme récemment acquis vient d'être réduit à néant. Le désespoir s'empare de moi à nouveau. Pourquoi tout cela m'arrive à moi ? Un torrent de larme accompagne mon incompréhension. Il s'agit là d'une méchanceté gratuite sans raison d'être.

Allongée dans mon lit, je repense soudain à ce fameux cours de TD de français où j'ai fait la rencontre de Yasmine. Je me souviens que ce jour-là nous avions plaisanté au sujet des livres. La mémoire me revient de plus en plus. Je me souviens de lui avoir dit en plaisantant

« Heureusement que je t'ai rencontré sinon j'aurai continué de me faire arnaquer » et je me souviens qu'à ce moment-là j'étais à côté d'Olga. C'est dans un sentiment de profonde tristesse que je réussis à m'endormir.


Chapitre 16

Je me lève à demie éveillée. Je titube le long de ma chambre. Je cherche à tâtons la poignée de la porte. Une fois que je l'ai saisie, je m'empresse de sortir dans le couloir. Un long bâillement vient confirmer ma somnolence. Je me rends dans la salle de bain. Je bouscule au passage un parapluie posé là par hasard. Je n'y prête pas la moindre attention. Je continue tout droit vers ma destination. Me voilà en face du lavabo. Je fais couler de l'eau sans me soucier si j'ai tourné le robinet rouge ou bleu. J'asperge ma figure d'eau pour tenter de me réveiller pour de bon. J'essaye une deuxième fois et c'est l'eau brûlante qui me réveille tout à fait. Tout en criant, j'éteins le robinet rouge. En relevant ma tête, de la buée s'est installée sur le miroir juste au-dessus du lavabo. Ça alors, l'eau a vraiment dû être très chaude pour avoir générée autant de vapeur. Je me procure une serviette non loin de moi pour l'essuyer. Le geste me paraît tellement banal que je n'y accorde pas beaucoup d'attention. Pourtant, la buée reste obstinément fixée sur le miroir. Voilà qui est curieux remarqué-je. J'essaie de nouveau, cette fois avec plus de vigueur. Pas plus de succès. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Malgré la présence de la buée, je peux distinguer la forme de ma tête. Cependant, il m'est impossible de voir ma figure avec netteté. On dirait du brouillard fixé sur un objet. J'approche mon visage du miroir. Mais plus je m'approche plus la forme de mon visage disparaît pour laisser place à celle d'un capuchon noir. Horrifiée, je recule vivement en arrière. Encore un peu et je me casse la figure mais je me retiens à temps à l'aide de la porte serviette proche de moi. Je me mets debout tant bien que mal. Soudain, une voix s'élève de toute part. Semblable à celle que j'ai entendu au parking de l'université.

« Tu es aussi stupide que je ne le pensais, dit-elle. Incapable de te défendre, de te faire respecter ni de te faire aimer par quiconque. Toujours en train de te plaindre sans pouvoir trouver une seule solution à tes problèmes... ».

LA FERME ! Hurlé-je à plein poumon.

« Ah oui ! En voilà de la personnalité ! Et moi qui te croyais sans défense ! Raille-t-elle. Je ne me la fermerais pas face à une fille qui ne s'assume pas telle qu'elle est. Qu'est-ce que tu crois ? Que les gens t'apprécieront alors que tu n'as pas de respect pour toi-même ! ».

Qu'est-ce que tu veux ? Qu'attends-tu de moi ? Pourquoi m'harceler sans arrêt ?

« Réfléchis ! Je ne cesserais de te poursuivre que lorsque tu auras compris que la seule qui a le pouvoir de te protéger c'est toi-même. Si tu arrêtes de te faire du mal, les autres s'arrêteront également... ».

Comment ça je me fais du mal à moi-même !

« Tu préfères avoir confiance aux pensées et à la parole des autres plutôt que d'apprendre à te faire confiance. Tu dis vouloir souhaiter agir librement comme si tu es prisonnière mais laisse-moi te rappeler que TU ES LIBRE. C'est seulement toi qui refuse de choisir ta propre route parce que tu es trop lâche ! ».

Excédée par ce discours je m'exclame : « c'est facile pour toi de critiquer quand tu restes planquer tapis dans l'ombre sans avoir le courage de me montrer qui tu es vraiment ».

« Je ne me cache pas, c'est toi qui refuse d'affronter tes peurs. C'est ce refus qui t'empêche de me voir ».

Prise d'une colère intense, j'essuie en vain le miroir dans l'espoir de la contredire et de voir son visage. Épuisée, je m'arrête un moment. Un éclat de rire retentit comme pour accentuer l'inefficacité de mon action. Dans un excès de rage, je lance mon poing droit dans le miroir. Il se brise. Des morceaux sont éparpillés un peu partout par terre et à l'intérieur du lavabo. Le souffle court, je suffoque. Je respire de grande bouffée d'air par la bouche. Du sang s'écoule de mes mains. C'est à ce moment que je m'aperçois qu'un bout de verre s'est niché entre mon majeur et mon annulaire. Je compte jusqu'à trois pour l'ôter. Un, deux, trois et je l'arrache d'un coup sec. Je jette le morceau dans la corbeille en dessous du lavabo. Du sang coule abondamment le long de mes doigts. Après avoir enlevé les morceaux de verres qui se trouvent dans le lavabo, je laisse l'eau froide couler sur mes doigts endoloris afin d'anesthésier la blessure.

Je me tourne vers l'armoire afin d'y trouver un antiseptique, du Cotton et des pansements. Je saisis le tout d'une seule main. Je les dépose sur une petite étagère sur ma droite. J'applique l'antiseptique en abondance sur ma blessure. Des picotements s'en échappent. Quand je frotte le sang à l'aide du Cotton, une vive brûlure me fait grimacer. Une fois certaine d'avoir bien nettoyer la blessure, je mets par-dessus un pansement.

Il ne me reste plus qu'à ramasser les bouts de verre restant. Je mets au moins une bonne demie heure à le faire étant donné que j'ai dû utiliser qu'une seule main. Après quoi, je me dirige dans la cuisine afin de m'y préparer un thé. Tout en buvant mon thé, je suis soulagée que tout ça s'est produit pendant le week-end. La matinée est déjà avancée lorsque je décide de commencer un de mes devoirs. Je mets toutefois un bon quart d'heure pour me concentrer pleinement. Il faut dire que cette analyse de texte ne m'inspire pas beaucoup. Je prends une feuille vierge afin d'y établir un plan. Mais mes pensées retournent constamment vers la scène de ce matin. D'ailleurs, je n'ai pas bien regardé l'étendue des dégâts. C'est pourquoi, je vais dans la salle de bain. La forme d'un grand rectangle vide se dessine sur le mur en face de moi, là où il y avait le miroir. En inspectant le sol, mon tapis de bain est tâché par de petits gouttes de sang. Je le saisis et le mets dans le bac à linge sale.

Je retourne dans ma chambre, m'assois sur la chaise en face de mon bureau. Après mettre forcée de réfléchir pendant environ une heure, il en résulte que le grand un de mon plan est rédigé sur mon brouillon de façon détaillé. Je m'apprête à continuer mais le grognement de mon ventre me rappelle que je n'ai pas pris de petit déjeuner. En regardant l'heure sur mon portable, il affiche onze heures trente. Je me prépare une salade et une boîte de ravioli. Une demie heure plus tard, je suis à table dans le salon. Bizarrement je n'ai pas envie de regarder la télévision. J'allume donc le poste de radio pour avoir un fond musical et surtout pour rompre le silence et le vide en moi. Une fois le déjeuner fini, je fais rapidement la vaisselle en enfilant un gant en plastique pour protéger ma main blessée. Je m'allonge sur mon lit pour faire une petite sieste. J'espère rencontrer Romy. Seule elle peut m'apaiser.

Je me trouve dans un endroit sombre. Je ne reconnais pas les lieux. Mais ça ressemble à un long couloir. Je jette un regard aux alentours. L'obscurité m'empêche de voir grand-chose, cependant, il semblerait que je me trouve sur un carrefour de quatre couloirs. Des bruits de pas s'approchent par derrière. Je fais volteface. Personne. J'emprunte le couloir en face de moi. J'avance prudemment car il fait sombre. Je suis environ au milieu du couloir quand j'entends appeler « Bérénice ». Je me tourne de tous côtés. Le couloir est désert. J'attends quelques instants sur place comme pour quêter un bruit. Mais c'est le silence complet. Sans trop savoir pourquoi, ce silence me pèse. Alors que je reprends ma marche, j'entends des pas quelque part non loin de moi.

  • Qui es-là ?

Pas de réponse. « Bérénice » appelle une voix.

  • Qu'est-ce qu'il y a, tu veux jouer à cachecache ? Dis-je. Tu ne crois pas qu'on est trop grande pour ce jeu ?

Un rire me parvient. On m'effleure l'épaule droit comme si quelqu'un passait juste à côté de moi. Je m'écarte.

  • Montre-toi ! Ordonné-je.

« Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi ! »

  • Très bien ! Alors qui est-ce qui est lâche maintenant ? Répliqué-je dans le but de la mettre en colère.

« Ne m'insulte pas ! Siffle-t-elle ».

  • Alors montre-toi ! Insisté-je.

Le silence revient. Je suis arrivée au bout du couloir. Une porte se trouve devant moi. J'hésite. Finalement, je l'ouvre. J'entre dans une vaste pièce disposée comme une salle de classe. Personne à l'intérieur. Je vais vers le bureau.

« Alors comme ça tu cherches à me provoquer ? » prononce une voix de fille derrière moi.

Je me retourne lentement. Elle se trouve à un mètre de moi.

  • Je voulais seulement que tu pointes ton nez. Tu n'as pas répondu à mes questions. Pourquoi me poursuis-tu depuis tout ce temps ?

« Je ne te réponds pas parce que la réponse à ces questions est en toi. »

  • Qu'est-ce que tu veux dire par-là ?

« Tout ce que je peux te dire c'est que tu ne pourras voir mon visage que lorsque tu auras trouvé qui tu es vraiment. »

J'en ai marre de ses réponses énigmatiques alors je me jette sur elle pour lui ôter son capuchon. Mais elle me repousse avec une vigueur à laquelle je ne m'attends pas. Gisant au sol, je n'éprouve aucune douleur. Quand je me retourne, elle n'est plus dans l'embrasure de la porte. Je me lève péniblement. Je regarde une dernière fois la salle de classe. C'est alors que je m'aperçois qu'il y a devant moi, occupant toutes les chaises de la salle, des tas de personnes encapuchonnées. D'une seule et même voix, elles s'expriment « tu n'es pas de taille contre nous ». Après quoi, chacune d'entre elle se lève dans un mouvement synchronisé. Apeurée, je me précipite vers la porte pour m'enfuir. Trop tard. Celle qui est près de la porte me saisit et me donne un coup de poing en plein dans la figure.

C'est en hurlant que j'émerge de ce cauchemar. Dans un mouvement brusque je me retourne dans mon lit et me cogne la figure sur ma table de chevet. Je passe le reste de mon après-midi et de ma soirée à appliquer de la glace au niveau de ma joue gauche. Un bleu se trouve tout juste sur ma pommette. En colère et désespérée, j'ai du mal à trouver le sommeil. Finalement, épuisée d'avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, je m'endors.


Chapitre17

Je suis éveillée depuis un moment. Cependant, je reste allongée, immobile dans mon lit. Par chance, aucun autre cauchemar n'a troublé mon sommeil cette nuit. Rien que d'y penser me rend nerveuse. Des larmes jaillissent de mes yeux et s'écoulent comme un torrent de rivière sur mes joues. Au bout d'un moment, je me lève péniblement pour me procurer un paquet de mouchoir dans un des tiroirs de mon bureau. Après quoi, je me mouche bruyamment. Pourquoi ? Telle est la question que je me pose. Si tout cela a un sens, quel est-il ? Ne trouverai-je jamais la paix d'un esprit serein ? Je suis prise dans une convulsion de crise de larmes. La respiration saccadée, je dégage une mèche de cheveux qui se trouve dans ma bouche.

Je me rends tant bien que mal dans la cuisine. Je me prépare une tisane. Je suis perdue dans mes pensées quand quelqu'un frappe à la porte. Je me demande vaguement qui peut me rendre visite un dimanche. Je mets plus de temps que de coutume à me rendre devant la porte. C'est pourquoi un deuxième toc toc à la porte se fait entendre.

  • J'arrive !

Je saisis la clé puis ouvre.

  • Surprise ! Me lance joyeusement mon frère avant de se renfrogner en voyant ma figure.

Qu'est-ce qui t'es arrivée ? S'inquiète-t-il.

Je lui fais signe d'entrer tout en lui répondant :

  • Je me suis cognée hier soir sur ma table de chevet ! J'ai mis de la glace sur ma joue mais le bleu ne disparaitra pas avant un moment ajoute-je.
  • Bérénice, je crois que tu as besoin d'aide ! M'annonce-t-il.

Légèrement vexée par son insinuation, je m'exclame :

  • Je ne vais pas aller voir un psychologue parce que je suis maladroite Théo !
  • Ce n'est pas pour te blesser que je dise ça se justifie-t-il. En plus, je vois bien que tu as pleuré. Et en t'observant, je vois bien que tu as une mine dép.... Triste se rattrape-t-il.

À l'entendre évoquer mon état pitoyable, je fonds en larmes. Il me saisit dans ses bras en disant « ça va aller » mais je sais très bien que tout va mal. Puis me dégageant brusquement de son étreinte, je hurle :

  • Mais qu'est-ce qu'ils ont tous ces gens à me traiter comme de la merde ! Hein. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ce genre de traitement ?
  • Bérénice calme-toi ! Me dit gentiment mon frère. Respire.

Respirer. Voilà la seule chose que je puisse faire librement sans me faire du mal. Théo me tend un verre d'eau. Je le prends en le remerciant. Nous gardons le silence pendant un moment.

  • Je suis désolée de t'accueillir dans cet état !
  • Ce n'est rien. De quelles personnes parlais-tu tout à l'heure ? Me demande-t-il.
  • Ce sont des gens que tu ne connais pas Théo !
  • Raconte-moi ce qui s'est passé alors.

Rien que de me remémorer cette scène où Olga me parle me donne la nausée. Plus j'y pense plus mon mal aise augmente.

  • Ecoute, je ne me sens pas prête à en parler d'accord !

Il acquiesce mais je vois bien qu'il est déçu que je ne me confie pas. Je change de conversation pour détendre l'atmosphère.

  • D'où t'es venu l'idée de me rendre une visite surprise ?
  • Je voulais prendre de tes nouvelles de vive voix ! Je me doutais un peu que quelque chose n'allait pas.

Décidément, il est impossible de parler d'autre chose.

  • Tu veux boire quelque chose dis-je.

Il me répond qu'il n'a pas soif. J'ignore combien de temps sommes-nous restés l'un en face de l'autre sans rien dire jusqu'à ce que le téléphone de Théo sonne.

  • C'est Steeve m'informe-t-il. Ça ne te dérange pas si je réponds me questionne-t-il ensuite.
  • Non ça ne me dérange pas, tu peux lui répondre.

Mon frère s'assoit à l'extrémité du canapé en me tournant le dos. Quant à moi, j'attends patiemment sur ma chaise en essayant de ne pas écouter la conversation. Du moment qu'ils ne parlent pas de moi, ça m'est égale. Je ferme les yeux et me concentre sur ma respiration. Je m'assoupis malgré moi.

Je me trouve assise dos contre un arbre dans un champ paisible. Un champ de blé s'étend à perte de vu tout autour de moi. Pas un son. Seule une brise légère ébouriffe mes cheveux. Sans trop savoir ce que tout cela signifie, je me sens sereine dans ce monde de rêve et c'est tout ce qui m'importe. Je remarque un sentier quelque part au milieu des blés. Je m'y dirige lorsqu'une douleur aiguë émane de ma main droite. Je me réveille brusquement. Le visage de mon frère est penché vers moi. Désorientée je lui demande ce qu'il fait là. Puis je me souviens peu à peu de la situation présente.

  • Qu'est-ce que tu t'es fait à la main Bérénice ?

Sa question me ramène à la douleur que j'ai éprouvée. En regardant ma main, du sang a tâché le pansement qui protège la blessure. Théo m'a réveillé en pressant ma main blessée.

  • Ce n'est rien dis-je vaguement.

Il me prend le visage afin de m'obliger à le regarder.

  • Je veux savoir la vérité. Je ne partirai pas d'ici sans savoir ce qui s'est réellement passé.

Je ressens un sentiment d'agacement face à son obstination. Mais je me force à lui répondre :

  • J'ai brisé le miroir de ma salle de bain hier matin explique-je.
  • Comment est-ce arrivé ?
  • C'est trop compliqué à expliquer !
  • Je pense que je suis apte à comprendre me dit-il d'une voix douce.

Je lui raconte alors qu'il m'arrive parfois de voir une femme encapuchonnée qui me poursuit. Précisément hier, je l'ai de nouveau vu et nous nous somme disputées expose-je. Alors que je continue mon récit, je distingue sur son visage une expression d'inquiétude intense. Un silence s'installe entre nous quand j'ai enfin fini.

  • Depuis quand est-ce que tu vois cette femme ? Me questionne-t-il.
  • Depuis le début de l'année universitaire à peu près. Pourquoi ?
  • Juste comme ça dit-il. Quand tu étais au lycée, tu ne l'as jamais vu ?
  • C'est seulement cette année que ça a commencé.
  • Pourquoi tu n'en as pas parlé avant ?
  • C'est simple. Tout le monde m'aurait pris pour une folle. Tiens lorsque tu m'as vu tout à l'heure, ta première réaction était de me dire que j'ai besoin d'aide. Alors si j'avais raconté tout ça avant, c'est sûr que toi et maman vous m'aurez placé dans un asile.
  • Pas du tout Bérénice, maman et moi aurons discuté avec toi et...
  • Et puis quoi ? M'énerve-je. Vous m'aurez envoyé dans un hôpital psychiatrique.

Il garde le silence. Il jette un œil sur sa montre et dit :

  • Je dois rentrer. Il se fait tard. On en reparlera plus calmement plus tard d'accord ?

J'acquiesce sans trouver rien à lui dire. Il ajoute :

  • Prends soin de toi petite sœur !

Je le raccompagne vers la sortie. Mais en longeant le couloir, il tourne soudain la poignée de la porte de ma salle de bain. Il reste bouche bée. J'en déduis qu'il ne pensait pas que j'avais cassé tout le miroir. Je rassemble tout mon courage à deux mains pour m'approcher de lui. Il se tourne vers moi et me regarde d'un air soucieux. Il farfouille dans son sac et en sort un tube de crème qu'il me tend.

  • Pourquoi tu me donnes ça ? Demande-je.
  • C'est une crème anti-douleur pour ton visage.
  • Merci. Dis-je émue.

Cette fois il se dirige vers la sortie. Avant de s'en aller, il me sert dans ses bras et me dit des paroles sensées me rassurer et m'apaiser. Après quoi, il part. La visite de mon frère a eu pour effet sur moi de m'apaiser dans mes tourments. Mais ayant peur que mes angoisses ne reprennent le dessus, j'allume mon ordinateur. En attendant qu'il soit prêt, je vais dans la cuisine pour prendre un biscuit apéritif. En retournant dans le salon, l'ordinateur est prêt.

Une multitude de pensées se bousculent dans ma tête m'empêchant de me concentrer sur l'objet de ma recherche. Après environ cinq minutes de pensées désordonnées, j'écris sur le navigateur de recherche test de personnalité. Une page entière de proposition de tests s'offre à moi. Après avoir choisis un des sites proposés, je commence le test. Quelques minutes plus tard, je lis le résultat du dit test. Un résultat qui ne me surprend pas beaucoup. Profil introverti annonce en grosse lettre le haut de la page. S'ensuit un descriptif du profil. J'effectue un deuxième test, cette fois concernant mon hypersensibilité. Le résultat est encore moins surprenant que celui du test de personnalité. Mon profil est annoncé clairement comme introverti hypersensible. J'éteins l'ordinateur. Avant qu'il ne s'arrête complètement, j'ai eu le temps de m'apercevoir qu'il est dix-huit heures trente. Après avoir dîner, je vais me coucher de bonne heure.


Chapitre 18

Une semaine s'est écoulée depuis la visite de Théo. J'ai longuement réfléchi à ses paroles. Il est peut-être temps pour moi de partager à une personne de confiance mes difficultés. Je regarde ma main blessée. L'entaille s'est cicatrisée. Quant à mon bleu, une petite tâche est encore visible, mais un fond de teint pourra bien le dissimuler. Je consulte la page jaune afin d'y trouver le numéro d'un professionnel. Au bout d'une heure, j'obtiens un rendez-vous.

Je constate que j'ai un laps de temps libre entre l'heure du déjeuner et celle de mon rendez-vous. Pour optimiser mon temps, je décide d'aller faire les courses. Après une bonne demi-heure de va et vient dans le supermarché, je rentre en vitesse au studio afin d'y déposer mes courses. Plus qu'une heure avant le rendez-vous. Je me dépêche de ranger les aliments.

L'écran affiche que le prochain tramway arrive dans deux minutes. Je ne cesse de regarder l'heure. Je n'aime pas l'idée d'arriver en retard même si je sais très bien qu'il ne s'agit pas d'un entretien d'embauche. J'arrive dans la salle d'attente cinq minutes avant l'heure fixée. Je feuillète un magazine lorsqu'une femme entre et prononce mon nom. Après lui avoir dit bonjour en lui serrant la main, elle me prie de la suivre dans son cabinet.

Je suis assise dans un fauteuil moelleux. Elle se présente tout d'abord et me questionne ensuite sur la raison de ma venue. Je lui explique qu'un jour en me rendant dans une boutique d'antiquité, j'aperçois une jeune femme encapuchonnée m'espionner. Je tente alors de découvrir qui elle est en retournant chez l'antiquaire, mais je ne réussis plus à la revoir. Depuis, je n'arrête pas d'apercevoir cette femme. Je lui raconte ce qui s'est passé durant la fête de Steeve. Entre temps elle hoche la tête en signe d'assentiment. À ce moment du récit, elle m'interrompe pour me questionner :

  • Pendant cette fête, vous avez bu combien de verre ?
  • J'ai seulement bu une gorgée de boisson alcoolisée. Ensuite je l'ai jeté pour prendre une autre boisson non alcoolisée.

Sa figure affiche un certain scepticisme.

  • Vous avez pris le même verre pour les deux boissons ?

Je ne comprends pas au premier abord pourquoi me pose-t-elle cette question. Puis je finis par en saisir le sens. Elle croit que j'ai mélangé les deux boissons.

  • Non, il y avait une serveuse. Quand j'ai demandé une autre boisson, elle m'a tendu un autre verre.

Je continue donc mon récit jusqu'au samedi où j'ai brisé le miroir. Elle m'écoute attentivement. Son attention s'est visiblement fixée sur la boisson alcoolisée de la fête de Steeve. Et cela parce qu'elle me pose de nouveau une question :

  • Il vous arrive souvent de boire de l'alcool ?

Cette question m'agace. N'avais-je pas précisé que j'avais changé de boisson. Son regard suspicieux et sceptique me décrit clairement qu'elle n'est pas la bonne personne. J'ai hâte que l'entretien se termine. Sa dernière question concerne mon assiduité en cours.

  • Comment se déroule vos cours ? Est-ce que vous éprouvez des difficultés à vous y rendre ?
  • Je ne rencontre pas de difficulté majeure dis-je. J'ai suivi chacun de mes cours depuis le début de l'année annoncé-je fièrement.
  • Très bien. On a fini la séance pour cette fois. On se donne rendez-vous à la même heure vendredi prochain.

J'acquiesce. Elle me raccompagne à la porte, me sert la main et on se dit au revoir. Sans pouvoir me l'expliquer, je ressens un sentiment de soulagement en sortant de ce cabinet. Tout au fond de moi, je sais parfaitement que je ne reviendrai pas. Je vais devoir réfléchir à la façon dont je vais me défiler.

Le prochain rendez-vous avec la psychologue est tout juste demain. Je saisis mon téléphone et l'appelle. J'espère qu'elle n'est pas occupée. Au bout de trois sonneries, elle décroche. Je décline mon identité et lui dit par la même occasion que je ne souhaite pas poursuivre mes séances de rendez-vous avec elle. Elle me propose alors de venir tout de même demain pour en discuter. N'ayant pas d'excuse pour refuser, j'accepte de la revoir.

Si je veux réellement interrompre mes séances avec elle, je dois trouver une excuse infaillible. Mais laquelle ? Je déambule dans ma chambre pendant un quart d'heure lorsqu'une idée évidente se présente à moi. Je lui expliquerai tout simplement que j'ai un problème financier qui m'empêche de la rémunérer. Elle ne peut pas me recevoir gratuitement.

J'arrive pile à l'heure le jour du rendez-vous. La discussion abordée concerne directement ma décision d'arrêter les séances.

  • Je traverse en ce-moment un problème financier qui ne me permet pas d'investir dans ses séances. Exposé-je
  • Et personne ne peut vous aider ? Demande-elle.
  • Malheureusement non. Dis-je.

La séance se termine plutôt que la dernière fois. Le même sentiment de soulagement que j'ai déjà éprouvé la dernière fois me traverse. Je savais d'avance que faire ce genre de démarche auprès de professionnel ne m'aidera pas. Mais il fallait que j'essaie. Il ne me reste plus que deux jours et un week-end pour réviser. Les partiels commencent lundi.

Le jour des examens arrive. Après avoir regardé le numéro de ma place sur une affiche, je prends place derrière une file indienne qui attend l'ouverture de la porte d'examen.

  • Salut ! Me lance joyeusement la voix d'une fille qui vient de se placer derrière moi.

Après avoir sursauter de surprise, je me retourne.

  • Salut Tatiana ! Est-ce que ça va ?
  • Oui ça va bien merci et toi tu n'es pas trop stressée ?
  • J'ai bien révisé alors ça devrait bien se passer. Et toi tu es stressée ? La questionne-je en retour.
  • Pas vraiment ! J'ai confiance en mes heures de révisions me répond-elle.

La file avance lentement m'obligeant à me détourner d'elle pour suivre. Une fois à l'intérieur de la salle, je me mets à chercher activement ma place. Je la trouve enfin. Je dépose sur ma table deux stylos bleus, un crayon de papier, une gomme, une règle et une montre. Après quoi je dépose mon sac au fond de la salle. Je vérifie si je n'ai pas oublié d'éteindre mon portable. Il est bien éteint, je le laisse au fond de mon sac. L'ensemble des étudiants met une dizaine de minute à s'installer. Après quoi les surveillants de la salle nous intiment le silence. Quand le silence tombe dans la salle, un des surveillants annonce que nous disposons de quatre heures pour traiter le sujet. Pui chaque étudiant découvre le sujet d'examen et commence à le traiter.

C'est ainsi que se déroule chaque examen. Durant les trois premiers jours, rien de particulier ne se produit. Je me rends aux examens sans trop de stress.

Arrive enfin le dernier jour des épreuves. Je passe aujourd'hui l'épreuve de la littérature moderne. Je dois accomplir deux dissertations en seulement quatre heures. L'épreuve a commencé depuis environ un quart d'heure. Les deux sujets de dissertations ne m'inspirent pas. De plus, j'entends le cliquetis des aiguilles de l'horloge accrochée au-dessus du mur derrière le bureau d'un surveillant. Il est neuf heures moins le quart. Trois quarts d'heure de perdu à essayer de faire un plan détaillé sur ma feuille de brouillon. Je relève un peu la tête pour apercevoir le surveillant le plus proche de moi. Il promène ses yeux partout dans la salle. J'abandonne ma feuille de brouillon pour me mettre à rédiger sur ma copie. Je ne peux pas me permettre de perdre trop de temps. Une autre dissertation m'attend. Je regarde de nouveau l'heure. Deux heures se sont écoulées. Parfait. Je viens juste de terminer la conclusion du premier sujet. Il me faut maintenant attaquer le second. Je gribouille quelques lignes sur mon brouillon, puis me rappelant que le temps est compté, j'écris de nouveau sur ma copie. Finalement, malgré ma difficulté à traiter les deux sujets, je finis ma rédaction dix minutes avant la fin. Cependant, je suis persuadée que je ne vais pas avoir une bonne note. Cette pensée me chagrine un peu. Je ne veux pas relire ma copie sachant qu'il n'y a pas grand-chose de bien à l'intérieur. Quand les dix minutes se sont écoulées, les surveillants nous annoncent de déposer nos stylos et de rendre les copies par rangée de table. Un brouhaha commence à se faire entendre. Mais on réclame sur le champ le silence.

Alors que j'attends avec impatience le tour de ma rangée, la fille encapuchonnée se pointe juste devant moi. J'ignore d'où peut-elle bien sortir. « En voilà deux copies lamentables ! » commente-t-elle après avoir observé mes deux copies. Je l'ignore. Elle s'assoit sur le bord de ma table. Encore deux rangées avant la mienne. Mon impatiente est à son comble lorsque c'est le tour de ma rangée de rendre les copies. Dans ma précipitation, je fais tomber l'un de mes stylos. « Une belle façon d'attirer l'attention sur soi ! Ricane-t-elle ». Je ramasse en vitesse le stylo et je vais déposer mes copies.

J'ai tellement hâte de sortir que j'oublie pendant un instant que je dois récupérer mes affaires au fond de la salle. Je m'y dirige à grand pas, saisis mon sac et m'empresse de sortir de la salle. L'air frais du dehors apporte un nouveau souffle à mes nerfs qui sont à vifs. Apparemment mon harceleuse me suit toujours.

  • Fous-moi la paix dis-je tous bas entre mes dents !

« Désolée, je n'ai pas entendu, tu peux répéter plus fort s'il te plait ? » s'exprime-t-elle moqueuse. Et puis quoi encore, elle prend vraiment du plaisir à me faire passer pour une folle devant les autres. Je garde le silence, mais je presse le pas pour arriver au plus vite à la station de tramway. Une demi-heure plus tard, je suis dans ma chambre. Trop épuisée pour lui hurler de me laisser tranquille, je la laisse donc me suivre comme mon ombre partout où je vais. Je l'entends s'adresser à moi derrière la porte de la salle de bain « tu ne peux pas continuer à m'ignorer longtemps ». Je ne peux même pas prendre ma douche tranquillement marmonne-je entre mes dents.

Je suis sur le point de m'endormir lorsque j'entends murmurer près de mon oreille les termes suivants « je te poursuivrai partout où tu iras même dans tes rêves... ». Ce sont plutôt des cauchemars pensé-je avant de sombrer dans le sommeil.


Chapitre 19

J'ai chaud. Terriblement chaud. Quand j'ouvre mes yeux, il y a comme une multitude de poussière qui s'abat sur moi. Je me protège avec l'aide de mon avant-bras droit. Je tente de me mettre debout en m'appuyant sur le sol à l'aide de ma main libre mais le sol est mou. Ma main s'enfonce à l'intérieur. Quand je tourne la tête, je n'en crois pas mes yeux. Ma main est enfoncée dans le sable. Je l'extirpe de là tout en essayant de me lever. Après m'être tombée trois fois, je suis enfin debout. Le décor annonce un désert à perte de vue. Je ne vois pas pourquoi je suis dans un désert. Mais il se peut que je découvre quelque chose d'intéressant.

J'avance droit devant moi. Par bonheur le chemin est plat. Cependant ma joie est de courte durée. Je vois à moins de cinq mètres devant moi, une dune de sable. Misère. Après quelques minutes de lutte contre le vent, je parviens en bas de celle-ci. Je m'assois un instant pour me reposer. Puis, je me lève avec difficulté et commence mon ascension. Je suis forcée de baisser les yeux car non seulement le soleil m'aveugle mais le sable porté par le vent irrite mes yeux.

J'avance nonchalamment en espérant que ce sera bientôt la fin de ce périple de martyre. Au bout d'un moment qui me paraît interminable, je me hisse enfin en haut de cette maudite dune. C'est seulement là que j'observe qu'il n'y a pas âme qui vive. Je ne vois aucun animal. Pourtant le désert abrite bien des animaux me dis-je à moi-même. Je me remémore alors les documentaires que j'ai regardé au sujet du désert. Les animaux qui me passent dans l'esprit en ce-moment ne sont pas les plus sympathique ni les plus câlin qui soient. En effet, des images de scorpions, de serpents venimeux et des lions agitent mon esprit. Finalement, je suis bien contente de ne rencontrer aucun de ces animaux.

Je lève la tête. Quelque part là-bas au loin une sorte de miroir scintille à la lueur du soleil. Curieuse de découvrir ce phénomène, je rassemble mes dernières forces pour me rendre à cet endroit. Je suis exténuée et à bout de force lorsque je m'aperçois qu'il s'agit d'une oasis.

  • Une OASIS ! Dis-je d'une voix rauque.

Cependant, il me reste quelques mètres à parcourir avant de me trouver à sa hauteur. Je tente de me mettre debout, mais mes jambes ne me tiennent plus. C'est donc à quatre pattes que j'effectue les derniers mètres. Une fois arrivée, je plonge tête la première. L'eau est agréablement fraîche et peu profonde. J'émerge de l'eau, rafraîchi. L'eau dégouline le long de mon corps. Après m'être essuyer le visage d'un revers de la main, je me penche par-dessus l'eau afin d'assouvir ma soif.

Je m'allonge sur le sable avec un sentiment de plénitude qui m'avait quitté depuis longtemps. Peu à peu le décor change et laisse place à une magnifique couchée du soleil. L'horizon est teinté d'une couleur orangée. Seul le vent murmure des paroles inaudibles à mes oreilles. Sinon, c'est le silence complet. Je ferme un instant mes yeux pour savourer pleinement ce moment. Mais peu à peu, la brise douce laisse place à un vent glacial. Un frissonnement parcourt mon corps. Mes membres sont frigorifiés. Pourtant lorsque j'ouvre les yeux, le spectacle d'une nuit étoilée m'émerveille. Je suis en peine de distinguer si c'est le froid ou ce spectacle extraordinaire qui me paralyse le plus. J'imagine que c'est les deux à la fois.

La teneur du froid commence à devenir dangereux. Il m'est impératif de me couvrir. Je me mets en position assise tant bien que mal. Comment vais-je trouver une couverture. En me tournant de tous les côtés, je vois non loin de moi, un blouson et une couverture. Je me lève pour aller les chercher. Mais mes membres trop engourdis n'obéissent pas. Je fais plusieurs tentatives, en vain. J'essaye de nouveau de mouvoir mes membres lorsqu'un ricanement sinistre me parvient.

Il s'agit là d'un son connu mais hait au plus haut point. Inutile de me demander à qui cette voix appartient. La colère que son ricanement m'inspire à sans doute transmis assez de chaleur dans mon corps puisque me voilà debout. Bien décidée à ne pas me laisser faire cette fois, j'attends qu'elle s'approche un peu plus près de moi.

« Comme promis, j'ai tenu parole. Je te suis partout. »

  • Qui es-tu ? Je crois avoir posé cette question plus de mille fois sans obtenir une réponse de ta part.

« Je suis le sentiment que tu reconnais le moins en toi et que tu repousses le plus »

  • En langage commun qu'est-ce que ça veut dire ?

« Il t'appartient de réfléchir à ce que ça veut dire. En ce qui me concerne, j'ai répondu à ta question. »

  • Je ne suis pas plus avancée ! Dis-je énervée par son obstination. Admettons que tu as répondu à ma question (qui es-tu ?), dans ce cas dis-moi pourquoi me hantes-tu ?

« Mon omniprésence dans ta vie dépend de tes réactions. »

  • Qu'est-ce que tu entends par là ?

« En bref, tant que tu n'auras pas mise en place un moyen de surmonter tes faiblesses en apprenant à te défendre, je serai toujours présente. »

  • Tu es censé être une sorte d'ange gardien ! M'exclamé-je. Et moi qui croyais qu'un ange gardien est gentil, ajouté-je.

« Je ne suis pas ton ange gardien. Mais un stimulus qui a pour objectif de réveiller ton instinct de survie. »

  • Et comment comptes-tu t'y prendre ?

« C'est simple ! J'imagine que tu penses ne pas mériter le traitement que tous ces gens t'ont gratifié. Je désigne par « gens » toutes ces filles qui se sont permises de te mépriser et de te ridiculiser...

Je l'écoute attentivement.

... J'ai juste une question à te poser. Comment veux-tu qu'elles te respectent et t'apprécient si toi-même tu ne cesses pas de regarder en toi uniquement tes défauts ?

Je reste silencieuse face à la justesse de ses paroles. Elle poursuit :

Pour survivre, tu dois te préserver. Montrer aux autres que tu es un individu à part entière. Si elles se permettent de te traiter ainsi, c'est parce que ta douleur les console de leur propre douleur...

  • C'est malsain ! Remarqué-je.

... Qu'est-ce que tu crois ? Tu t'imagines qu'ils vont compatir à ta douleur ? JAMAIS décrète-t-elle d'un ton catégorique.

Un sentiment d'agacement et de frustration se mélange en moi lorsque je l'interrompe dans son monologue.

  • C'est bien beau de dire tout ça ! Mais ça ne m'apporte aucune solution.

« Tu trouves mes critiques « beau » gronde-t-elle. Tu crois qu'être une minable, une éternelle empotée, grosse et moche c'est beau ? »

Je reste bouche bée. Sans que je comprenne comment est-ce arrivé, je fonce droit sur elle. Mais anticipant mon geste, elle m'esquive tout en me poussant violemment. Je perds l'équilibre et m'affale par terre pour aussitôt me relever. Face à face, chacune attend un mouvement indiquant l'intention de l'autre. J'ignore combien de temps nous restons ainsi. Elle tourne le dos à l'oasis.

  • J'ai soif ! Dis-je. Est-ce que je peux m'abreuver ou tu comptes me laisser mourir de déshydratation ?

Elle me fait signe que je peux m'approcher. Alors que je plonge mes mains dans l'eau, la lueur claire de la lune me permet d'apercevoir le reflet de sa silhouette qui vient vers moi. Lorsque je me retourne, elle est déjà derrière moi et me donne un coup de poing en pleine face. Je bascule dans l'eau. Je me relève rapidement. Un picotement émane de mon nez cassé. Mais je sens à peine la douleur à cause du froid. Je lui jette de l'eau en pleine figure afin de la déstabiliser. Elle se protège avec ses bras. J'en profite pour me rapprocher d'elle et lui envoie un coup de poing au niveau du ventre. Elle se plie en deux. Je continue de la frapper jusqu'à ce qu'elle se retrouve à terre. Je suis sur le point de lui asséner un dernier coup fatal lorsqu'elle disparaît soudainement et laisse place à Romy. Cependant, la Romy que je vois est en sang. Le corps tremblant, elle est couchée à terre presqu'immobile. Un visage blafard et ensanglanté se tourne vers moi. Je suspens mon geste à la dernière minute. Je suis bouleversée lorsque je me réveille de ce cauchemar.

Blottie dans mon lit, j'entends quelqu'un frapper à ma porte. Cependant, je n'ai pas envie d'ouvrir. On frappe de plus en plus fort. Quelqu'un prononce mon prénom. Je me bouche les oreilles en plaquant mes mains par-dessus ces dernières. Je ne veux pas entendre un seul son par pitié murmure-je tout bas. Pourtant, un gros BANG ! Se fait entendre et viens contrecarrer mon souhait. Occupée à me boucher les oreilles, je ne regarde pas autour de moi. Quelqu'un me saisit dans ses bras. Je reconnais vaguement le visage de mon frère avant de sombrer dans le noir.


Chapitre 20

Je cours, mais je ne sais pas où je vais. Je ne vois rien d'autre qu'une route. Aucun panneau d'indication nulle part. Je m'arrête pour souffler quand j'ouvre les yeux. La lumière projetée par la lampe du plafond m'aveugle. Je clignote des yeux plusieurs fois avant de pouvoir m'adapter à la luminosité. Je sens une odeur de roses fraîches. Je tourne lentement ma tête pour savoir d'où vient cette odeur. Près de moi, posé sur une table de chevet, se trouve un bouquet de rose. Je me rends compte pour de vrai que je ne sais pas où je suis. Je tente de me mettre en position assise. Après un long effort, j'y parviens. Je me trouve dans une pièce dont le seul meuble est une grande armoire. Une petite télévision est accrochée au mur devant moi. L'ensemble de la chambre reflète une salle stérilisée.

Je me mets debout pour me rendre dans la salle de bain. Je suis en train de me laver les mains lorsque je lève les yeux vers le miroir. Je constate que j'ai maigri. A vrai dire, je n'ai quasiment rien mangé ces dernières semaines. Je sors de la salle de bain lorsque la porte d'entrée s'ouvre. Mon frère entre suivi de près par ma mère.

Ils affichent tous les deux un grand sourire en me voyant. Je m'assois sur le lit pendant qu'ils prennent place sur deux chaises en face de moi. Ils ôtent leur manteau lorsque ma mère s'exclame :

  • Le vent glacial de dehors me donne des frissons. J'ai hâte que le printemps arrive.

Cette allusion au temps me fait penser que je ne sais pas depuis combien de temps je séjourne dans cette chambre. J'ai envie de leur poser la question mais je ne vois pas comment m'y prendre sans faire naître un sentiment de gêne de toute part.

  • En fait, j'aimerai savoir depuis combien de temps je suis ici ?

Mon frère répond :

  • Ça fait environ trois jours.
  • Je vais pouvoir partir aujourd'hui puisque je me sens mieux maintenant ! essaye-je de dire gaiement.

Cependant mon sourire devient un rictus pour finir par disparaître complètement. Ils me regardent tous les deux d'un air grave. Puis finalement, mon frère prend la parole :

  • Bérénice, tu ne pourras pas partir. En tout cas, tu ne sortiras pas d'ici sans l'autorisation du médecin.

Un sentiment de panique et d'incompréhension s'installe en moi. Il est évident que j'ai reconnu en cette chambre, une chambre d'hôpital. Néanmoins, une précision s'impose. Je déglutis avec peine avant de demander :

  • Je suis à l'hôpital n'est-ce pas ? annoncé-je prudemment. Pourquoi ne pourrais-je pas en sortir ? enchainé-je.
  • Oui tu es dans un hôpital. Il marque une pause. Mais un hôpital psychiatrique Bérénice.

Cette révélation, bien que je me doutasse de sa venue, m'estomaque. Puis le choc laisse place rapidement à la colère.

  • Comment ça un hôpital psychiatrique ? Je ne suis pas folle m'indigné-je.
  • Bérénice, calme-toi ! dis ma mère. Ce n'est pas un drame.

Non en vérité, pensé-je intérieurement. Mon amour propre vient tout juste d'être malmené mais ce n'est pas un drame répété-je ironiquement dans ma tête. Je garde le silence de peur de dire quelque chose que je regretterai. J'entends à peine les explications que tente de me donner mon frère :

  • J'ai réfléchi à ce que tu m'as dit à propos de cette femme encapuchonnée, commence-t-il. A mon avis, elle appartient à ton imagination. Et puis, on t'a appelé maman et moi, mais tu ne répondais pas au téléphone. Alors, on s'est inquiété. Je suis venu chez toi et tu étais accroupie dans un coin du mur à te balancer d'avant en arrière. Il fallait qu'on réagisse.

Je les regarde alternativement. Ma mère ne disait rien, quant à mon frère, il me regarde avec compassion. Au bout d'un moment, il change la conversation. J'imagine qu'il veut détendre l'atmosphère.

  • Il est beau ton bouquet de fleur. C'est Steeve qui te l'a apporté.

Génial ! dis-je intérieurement, qui d'autre a eu vent de ma détresse. Mes pensées doivent se lire sur mon visage car mon frère se justifie aussitôt.

  • On venait de recevoir nos résultats de partiels, explique-t-il, il était à la maison pour discuter de nos résultats quand on a parlé de toi. Il m'a demandé si tu allais bien. Je lui ai répondu que je ne le savais pas. Alors, il m'a proposé de t'appeler mais tu ne répondais pas. J'ai appelé maman et elle m'a dit qu'elle n'avait pas de tes nouvelles. C'est comme ça que Steeve et moi sommes venus jusqu'à ton appart.

L'idée que Steeve m'est vu dans cet état de transe ne me plaît pas. Je ne saurai expliquer pourquoi. Je jette un coup d'œil au bouquet. Il y a en effet une carte posée entre deux roses, que je n'ai pas remarqué lorsque je l'ai aperçu la première fois. Je le prends et lis « Bon rétablissement Bérénice, courage ! Steeve. ». Puis le mot « partiel » résonne dans ma tête. Je me souviens alors que j'ai également passé mes examens.

  • Tu as parlé de partiel tout à l'heure !

Mon frère acquiesce sans comprendre où je voulais en venir. Je poursuis :

  • C'est seulement que je voudrai savoir si mes résultats de partiels sont également sortis ?

C'est ma mère qui répond :

  • Ton relevé de note est arrivé avant-hier ! m'annonce-t-elle.
  • Et ça donne quoi comme résultat ?

Ma mère sort une enveloppe de son sac et dit :

  • Je l'ai apporté mais je ne l'ai pas ouvert. Puis elle me tend l'enveloppe.

Je la prends et l'ouvre délicatement pour ne pas la déchirer. Je déplie la feuille et mon regard tombe tout de suite sur la moyenne générale. 11/20. La pression que je ressentais sur ma poitrine se desserre. Je respire mieux. J'ai validé mon semestre. Je lève la tête et je m'aperçois que mon frère et ma mère me regardent d'un air d'attente. Avec un sourire je dis :

  • J'ai validé mon semestre avec 11/20.
  • Félicitation ! s'écrièrent-ils ensemble.

Mais je me rembrunis aussitôt. Oui j'ai validé mon premier semestre mais maintenant comment faire pour passer le deuxième. Je suis enfermée dans cet hôpital. Je ne suis pas décidée à penser « hôpital psychiatrique » mais seulement hôpital. Je ne suis pas folle. En tout cas je l'espère de tout mon être. Mon air déprimé a dû se refléter sur mon visage car mes deux visiteurs s'exclament :

  • Qu'est-ce qui ne va pas ?
  • Rien ! répondis-je, c'est seulement que maintenant que je suis coincée ici, je ne pourrai pas passer mon examen de deuxième semestre.

Un silence s'installe puis mon frère parle :

  • Tu pourras contacter une de tes amies de la faculté pour qu'elle te donne les cours du second semestre. Tu révises à fond et à la limite tu pourras peut-être passer l'examen de rattrapage de fin d'année !

Décidément, il a de l'espoir, « une de mes amies de la faculté ! » tiens donc, tu n'as toujours pas compris que je n'ai pas d'ami Théo ! me dis-je intérieurement. Mais je me contente de lui répondre :

  • Si j'applique ton idée, je vais devoir m'expliquer sur les raisons de mon absence et j'aimerai l'éviter. Tant pis, je n'ai plus qu'à attendre de sortir d'ici et de recommencer l'année universitaire à la rentrée prochaine.

Il ne dit rien. Mais il était inutile de chercher un nouveau sujet de conversation. Quelqu'un vient de frapper à la porte. La porte d'entrée s'ouvre et laisse place à un homme habillé en blouse blanche.

  • Bonjour, Mesdames, Monsieur, je suis le Docteur John Clear. Je suis le médecin qui va prendre en charge Madame Bérénice Duchamp.

Entendre quelqu'un m'appeler « Madame » est bizarre. Il poursuit :

  • Il y a trois jours, vous avez renseigné auprès de la secrétariat les informations concernant votre sœur dit-il en s'adressant à mon frère. Ce dernier se contente d'acquiescer.

Incapable de me retenir plus longtemps je l'interrompe et lui demande :

  • Pourquoi je ne peux pas rentrer chez moi tout de suite ? après tout je me sens beaucoup mieux maintenant.
  • Vous devez comprendre que vous pouvez sortir de cet hôpital un jour, néanmoins vous devez établir un travail sur vous-même et je suis là pour vous accompagner dans cette démarche. Me répond-il d'un ton affable comme si je ne venais pas de l'interrompre. De plus, je suis ici en ce-moment pour expliquer à votre frère et votre mère qu'ils seront informés de vos progrès de façon constant. Pas tous les jours évidemment, mais une fois tous les quinze jours par exemple.

Puis il s'adresse à mon frère et ma mère pour leur dire qu'ils peuvent me rendre visite quand ils le souhaitent. Ensuite, il demande à ma mère de signer un document qu'il lui tend. Après quoi, il prend congé et nous laisse nous dire au revoir.

  • Tout va bien se passer ! me dit ma mère en m'embrassant pour me dire au revoir.
  • On viendra te voir ! ne t'inquiète pas renchérit mon frère.

Ils sortent et quand la porte se referme derrière eux, je me mets à pleurer amèrement tout en me demandant comment j'en suis arrivée là. L'heure du dîner approche et une infirmière me donne le choix de manger avec les autres résidents dans la salle à manger où de rester dans ma chambre. Je choisis de rester dans ma chambre.

J'ai du mal à m'endormir n'étant pas encore habitué à mon nouvel environnement. Mais peu à peu le sommeil me gagne.

Chapitre 21

Toujours allongée dans mon lit, je somnole. J'ai envie de me lever pour me réveiller complètement mais c'est comme si je n'avais plus de force. Impossible de connaître l'heure. Les volets de ma chambre sont encore baissés. J'imagine que ça signifie qu'il est encore très tôt dans la matinée. Je me tourne vers le côté gauche de mon lit dans un effort qui me paraît surhumain. Sans vraiment le rechercher, je m'endors de nouveau.

J'entends le bruit des rideaux qu'on tire. Attirer par ce son, je quitte le monde des rêves pour revenir à la douloureuse réalité. Toujours, la même chambre stérilisée, mais cet fois les volets sont ouverts ainsi que la fenêtre. L'infirmière est encore là. Je me redresse sur mon lit et lui demande d'une voix faible :

  • Bonjour, quelle heure est-il s'il vous plaît ?
  • Bonjour, il est 9 heures du matin. Me répond-elle aimablement.

Un frisson de froid me traverse lorsque ma couverture tombe par terre.

  • Oups ! Attention dit l'infirmière en la ramassant et en me recouvrant avec.
  • Merci !
  • Vous souhaitez boire quelque chose en particulier pour le petit déjeuner me questionne-t-elle ?
  • Du thé sans sucre s'il vous plaît.
  • Très bien, je reviens avec votre petit déjeuner ! puis elle sort de la chambre.

Elle revient avec le dit petit déjeuner quelques minutes plus tard. Ce dernier est posé sur une table roulante qu'elle pousse vers moi. Je vois sur le plateau une tasse de thé, quelques biscuits et des tartines. Dans un petit boitier se trouve deux gélules de médicaments. Les mêmes que j'ai déjà pris la veille, responsable de mon état actuel. Je les regarde d'un œil venimeux. Je commence par boire une gorgée de thé. Puis, je saisis un des biscuits. L'infirmière est toujours là. A-t-elle l'intention de rester là à me regarder petit déjeuner ou va-t-elle finir par s'en aller ? Je lève les yeux vers elle en signe d'interrogation.

  • Vous devez prendre vos médicaments m'intime-t-elle.

Crotte de bouc, j'escomptais justement m'en passer. Je mets les deux médicaments dans ma bouche. Je m'arrange pour les cacher sous ma langue et je bois une toute petite gorgée de thé. L'infirmière s'approche de moi.

  • Ouvrez la bouche !

À contre cœur je m'exécute. Je tire la langue vers l'avant pour tenter de maintenir mon plan jusqu'au bout.

  • Soulevez votre langue !

Cet fois tout est perdu, pensé-je. J'espère toutefois que la petite gorge de thé a suffisamment fondu les deux médicaments. En effet, je sens un goût amer sous ma langue.

  • Humm ! vous pouvez l'avaler maintenant avec un peu de thé, me dit-elle avec un sourire. Puis elle s'en va.

Ecœurée par ce goût amer, je repousse le plateau de nourriture sur la table roulante. Je me dirige vers la salle de bain où je tente de recracher le tout. Je crois m'être rincer la bouche pas moins de vingt fois. Peu de temps après, l'infirmière revient pour reprendre le plateau et la table roulante. Je reste assise sagement sur mon lit arborant une mine innocente.

  • Vous voulez que je vous aide à prendre votre douche, me propose l'infirmière en me regardant d'un air d'interrogation.

Pouah ! certainement pas m'indigné-je. Cependant je parviens à contenir ma rage et à lui répondre :

  • Non merci ! ce n'est pas la peine, je vais pouvoir me débrouiller toute seule.

De peur qu'elle ne me croit pas, j'ajoute :

  • Merci de me l'avoir proposé, c'est très aimable de votre part.

Elle me sourit et s'en va à mon grand soulagement. La matinée continue d'avancer. Je commence à m'ennuyer sérieusement. Je me demande si je peux sortir de cette maudite chambre. Après une minute d'hésitation, je sors ma tête entre l'ouverture de la porte. Le couloir est désert. Toutes les portes sont closes. Je sors. Une fois arrivée à un carrefour de couloir, je me sens perdue. Chacun de ses couloirs semblent tous identiques. Je ne peux pas m'empêcher de penser à un labyrinthe sans fin. Je décide de prendre l'ascenseur et me rends au rez-de-chaussée. « Rez-de-chaussée » claironne une voix féminine dans l'ascenseur. Une fois sortie, j'entends un brouhaha provenant de ma droite. En tournant la tête, je vois une porte ouverte donnant sur une salle dont la lumière est allumée. Je m'y dirige. La salle est moyennement grande. Une table ronde est disposée un peu partout dans les coins et recoins de la pièce. La plupart sont occupées par des personnes qui jouent à des jeux de sociétés.

Occupée à inspecter la salle, je suis surprise lorsque qu'une femme s'adresse à moi.

  • Bonjour, vous voulez vous joindre à nous. Me propose-t-elle avec un sourire.

Encore sous le choc de la surprise, je suis incapable de prononcer un mot. Je me contente d'acquiescer. Elle m'accompagne vers une table avec deux personnes qui tentent de résoudre un puzzle. L'animatrice annonce aux deux autres que je vais jouer avec eux. Il s'agit d'un homme et d'une femme. Ils regardent l'animatrice, puis moi. Ils donnent leur assentiment par une sorte de grognement et je m'assois sur une chaise libre.

Je commence par rassembler près de moi une série de pièces de puzzle. J'ai pratiquement assemblé la tête d'un bonhomme lorsque je m'aperçois que l'homme assis en face de moi s'obstine à faire entrer l'une des pièces du jeu au mauvais endroit. J'ai envie de lui dire que ce n'est pas le bon endroit mais je n'ose pas. Je ne sais pas comment m'y prendre. Puis repérant l'endroit où il doit poser la pièce manquante, je décide de tourner le jeu de façon à ce que la pièce en question entre dans le bon endroit. En multipliant ce genre d'interventions, nous terminons notre puzzle lorsque l'animatrice annonce que c'est l'heure de manger.

Une fois à table, je m'attends à ce que le déjeuner ne soit pas très apetissant. Mais à mon grand étonnement, c'est tout à fait le contraire. Des assiettes de salade sont déposées devant chaque personne. Il s'agit sans doute de l'entrée. Le plat principal consiste en une sautée de pomme de terre accompagnée de légumes. Le dessert est un moelleux au chocolat que j'ai adoré. J'ai mangé avec appétit. J'ai eu probablement faim depuis un bon moment. Le seul bémol de ce déjeuner a été la prise de médicaments. Je ne veux pas les prendre de nouveau.

Je saisis les deux gélules dans ma main droite. Je fais semblant de les mettre dans ma bouche alors qu'en réalité, je les fais glisser sur mes genoux. Puis je me dépêche de les mettre dans la petite poche de ma veste. Après quoi, je bois un grand verre d'eau d'une traite. Les infirmières passent près des tables pour faire leur vérification. Pensant soudain qu'il se peut qu'elle aperçoive mes poches et me demande de les vider, je fais mine d'avoir chaud et enlève délicatement ma veste. Après cette vérification, tout le monde est autorisé à sortir.

De treize à quatorze heures, chacun est libre de faire ce qu'il veut. Soit de rester dans sa chambre, soit d'aller dans la salle de jeu ou d'aller se promener dans le jardin derrière le bâtiment. J'hésite entre retourner dans ma chambre et aller me promener. Finalement, je vais me promener.

Lorsque je passe vers le coin accueil, je dis :

  • Je vais me promener dans le jardin.

La femme derrière le bureau acquiesce en souriant sans rien dire. Une fois dehors, une brise fraîche vient m'accueillir. Je me dirige vers l'allée centrale. Je marche lentement entre les allées bordées de buissons. Je croise de temps à autre des personnes qui discutent assises sur des bancs. Je déambule ainsi pendant un moment. J'enfile ma veste mais elle n'est pas assez chaude. Je prends un chemin vers ma gauche pour retourner vers le bâtiment quand j'aperçois une poubelle. Je jette les deux médicaments.

Je suis assise tranquillement dans ma chambre en train de boire du thé chaud. Peu de temps après, je m'allonge sur mon lit et m'assoupis malgré moi. Je suis au milieu d'un brouillard. Ne pouvant rien distinguer autour de moi, j'avance prudemment. Je cligne plusieurs fois des yeux pour adapter ma vision, mais le décor change. Il me semble reconnaître Romy le dos tourné. Je suis d'abord contente de la revoir. Puis l'image de son visage blafard et ensanglanté surgit dans mon esprit. Je suis maintenant derrière elle. Je suis sur le point de lui toucher l'épaule lorsqu'elle se retourne. Mais ce n'est pas Romy que je vois. Elle a disparu et laisse place à la femme encapuchonnée. Elle me saisit le poignet gauche. Je dégage ma main dans un geste brusque pour me libérer de son emprise. Ce mouvement me fait perdre l'équilibre et je m'affale par terre. Mais avant de toucher le sol, je me réveille en sursaut.

J'essuie d'un revers de main la sueur qui se répand sur mon visage. Je me redresse pour mieux respirer. Une fois mon souffle redevenu régulier, je regarde autour de moi. La chambre est restée la même sauf un détail, la femme encapuchonnée m'observe près de la porte entrouverte. Un sentiment de rage m'envahit en l'apercevant. Je suis persuadée que c'est de sa faute si Romy est blessée. Je me lève pour la rejoindre. Mais comme je m'y attendais, elle se faufile habilement entre l'ouverture de la porte. Je la poursuis dans le couloir. « Viens m'attraper si tu peux ! Ricane-t-elle ». Je suis hors d'haleine lorsque j'esquive de justesse une infirmière qui accompagne un patient. Je pousse violemment la porte devant moi.

Il me faut plusieurs minutes pour réaliser que quelqu'un m'a attrapé dans ses bras. Je crois avoir poussé un hurlement mais dans l'état agité dans lequel je me trouve, impossible d'en être sûr. En tout cas, maintenant, je gesticule dans le bras d'un jeune infirmier qui a du mal à me maintenir en place et réclame du renfort. Je ressens une piqure sur mon avant-bras gauche. Je ne vois plus rien, je n'entends plus rien. C'est le silence complet.


Chapitre 22

Des images de Romy se superposent dans ma tête. Depuis la fois où je l'ai aperçu sur la plage jusqu'à celle où elle est blessée. Je me demande pourquoi elle a été blessée alors que ce n'est pas elle que j'ai frappé. Mon esprit est beaucoup trop agité pour y réfléchir. Je patiente un moment pour que le calme revienne. Au bout d'un moment, je me sens enfin sereine.

  • Tu es enfin parvenue à trouver le calme en toi ! C'est très bien !

Je suis figée. Une fois que la surprise est passée, tout ce que je réussis à dire est :

  • Romy c'est toi ?
  • Oui, c'est moi ! Me répond-elle avec un sourire.
  • Tu n'es plus blessée ?
  • Non, je suis guérie.
  • Comment ça se fait ? Je ne comprends rien...

Je veux poursuivre mais elle m'interrompe.

  • Je vois que tu n'as pas réfléchis à ce que cette femme sans visage t'a révélé.

Incapable de m'en empêcher, je lui demande :

  • Tu connais cette femme ?

Sans répondre à ma question, elle continue son monologue :

  • Tout comme moi, la femme sans visage fait partie de toi. Tu te poses la question, pourquoi est-ce que j'étais blessée ? La réponse est simple. La femme sans visage t'a informé qu'elle te poursuivra jusqu'à ce que tu apprennes à te défendre. Pourtant, tu ne dois pas essayer de la vaincre par la violence. En la frappant, tu m'as blessé.

Je suis stupéfaite par cette révélation.

  • Mais elle m'a provoqué, je pense que c'est ce qu'elle attend de moi.
  • D'après toi, à chaque fois que quelqu'un te provoquera, tu vas le frapper ?
  • Bien sûr que non ! M'exclamé-je. D'après toi, que dois-je faire alors ?

Je n'entends pas la réponse car elle devient de plus en plus floue.

Je me réveille avec un mal de crâne. Je me redresse pour m'asseoir. Un peu désorientée, j'inspecte d'un regard curieux ma chambre. Je ne reconnais ni ma chambre chez ma mère ni celle du studio. Peu à peu mes souvenirs s'assemblent et je me rappelle que je suis dans un hôpital. Une bouteille d'eau et un verre en plastique sont posés sur ma table de chevet. Après m'être désaltérée, je me rends dans la salle de bain en titubant pour me rafraîchir le visage.

J'ai du mal à estimer le temps qui s'écoule. Mes volets sont à demi-fermés. La lumière que je perçois m'informe tout de même qu'il fait jour. Mes paupières sont toujours lourdes comme quand on a envie de dormir. Je lutte pour rester éveillée mais c'est peine perdue.

  • Tu dois trouver ce que je représente pour toi et ce que la femme sans visage représente également pour toi. Quand tu auras compris qui on est, tu trouveras toutes les réponses à tes questions.

Lorsque je sors de mon sommeil, je me sens beaucoup mieux. La lumière provenant de la fenêtre m'indique qu'il fait toujours jour. Malgré cela, je me lève pour ouvrir les volets parce qu'il fait trop sombre.

  • Bonjour, je vous apporte votre petit déjeuner. Je vois que vous avez ouvert les volets, c'est bien. Comment vous sentez-vous ? Dit l'infirmière.
  • Bonjour, je vais bien merci.
  • Très bien. Je vous laisse prendre votre petit déjeuner. Cet après-midi vous avez un entretien avec le Docteur Clear. Je viendrai vous chercher.

Après quoi elle sort. Je suis étonnée qu'elle ne m'intime pas l'ordre de prendre mes médicaments. Non pas que je m'en plains, mais je trouve cela étrange. D'ailleurs, il n'y a pas le petit boîtier à médicaments sur mon plateau. Je ne cherche pas à comprendre plus, ravie de ma dispense. Je mange d'une humeur joyeuse. Mes pensées reviennent sur les dernières paroles de Romy. Elle me demande de chercher ce qu'elle représente pour moi ainsi que la femme encapuchonnée. Je ne me suis jamais demandé si cette femme fait partie de moi. Je me suis contentée de la poursuivre parce qu'elle me poursuivait aussi. En ce qui concerne Romy c'est une évidence. Elle me ressemble donc elle fait partie de moi. Pourtant je ne vois pas ce qu'elle représente pour moi. Une amie ? Une amie imaginaire alors. Et la femme sans visage ? Mais quand j'y pense, comment Romy peut-elle la connaître ? Un raisonnement se met en place dans ma tête. Si Romy fait partie de moi, elle me connaît. Ce qui signifie qu'elle sait et voit tout ce que moi je vois et sais. Mais ça ne tient pas la route. La femme encapuchonnée sait aussi des choses sur moi. Toute cette réflexion m'embrouille le cerveau. Je me retrouve avec deux individus dont l'un porte mon visage et mon prénom préféré et l'autre est sans nom et n'a pas de visage.

Je consacre la fin de ma matinée à réfléchir sur le problème. Comme lors du petit déjeuner, la même infirmière m'apporte mon déjeuner. Je mange lentement, perdue dans mes pensées. Je n'ai pas vraiment d'appétit. Je tourne et retourne un chou de brocoli sans me décider à le manger. Je délaisse mon plat principal pour m'attaquer au dessert. Ma compote est presque finie lorsque l'infirmière revient pour reprendre mon plateau.

  • Vous n'avez pas fini votre assiette parce que ce n'était pas bon ? Me questionne-t-elle.
  • Non, ce n'est pas ça. Je n'ai pas vraiment d'appétit.
  • Humm ! Je vois, Je reviendrai vous chercher d'ici une petite heure pour votre entretien avec le Dr. Clear.

Je hoche la tête en signe d'assentiment. Je passe le reste du temps à déambuler dans ma chambre comme un oiseau enfermé dans sa cage. Je me surprends à m'impatienter que cet entretien arrive pour m'arrêter de tourner en rond. Après des minutes qui me paraissent interminables, l'infirmière frappe à ma porte et entre :

  • Je viens vous chercher pour votre entretien avec le Docteur Clear !

Elle ferme la porte derrière moi et nous marchons côte à côte. Nous continuons à déambuler dans des couloirs tous semblables. Impossible de me retrouver dans ce labyrinthe de couloirs blancs stérilisés. Après un centième tournant, nous arrivons devant une porte vitrée floutée. Elle frappe doucement à la porte. Une voix d'homme répond :

  • Entrez !

Elle me fait signe d'entrer la première. Je suis dans un bureau équipé d'un sofa marron, d'un fauteuil géant blanc qui fait face à un bureau derrière lequel est assis le Docteur Clear. Il est pour l'instant concentré sur l'écran d'un ordinateur. Il n'y a pas beaucoup de décoration. Seul un tableau géant avec un fond blanc et un unique carré rouge au milieu. Il lève enfin son nez de son ordinateur, affiche un sourire et dit :

  • Bonjour mesdames !
  • Bonjour Docteur, je vous amène madame Duchamp Bérénice, patiente admise depuis environ une semaine dans l'établissement, déclare l'infirmière.

Le Docteur acquiesce et l'infirmière s'en va.

  • Asseyez-vous où vous voulez m'annonce-t-il d'un ton affable.

J'ai envie d'essayer le fauteuil géant. Il est d'un confort exceptionnel. J'ai envie d'y rester pour l'éternité. Une fois installée, je regarde le médecin. Il m'observe avec un petit sourire.

  • Le fauteuil est confortable n'est-ce pas ?

Le rouge me monte aux joues. Ça se voit tant que ça que ce fauteuil me plaît ? Mais je me contente de répondre :

  • Oui c'est vrai il est confortable.
  • C'est fait exprès voyez-vous, pour que vous vous sentez à l'aise. Bien ! maintenant, dites-moi comment allez-vous ?
  • Je vais bien, merci, en tout cas, je n'ai mal nulle part.
  • Vous avez un bon appétit ? Vous dormez bien ?

Je ne peux pas répondre positivement à ces deux questions mais ma méfiance me met en garde et je réponds machinalement que oui je mange et je dors bien. Le docteur Clear me regarde avec des yeux scrutateurs. Il ne me croit pas vraiment. Mais il ne fait aucun commentaire.

  • Vous avez remarqué que vous n'avez pas pris de médicaments aujourd'hui me déclare-t-il. Je l'ai recommandé aux infirmières pour que vous puissiez suivre cet entretien. Cependant, j'aimerai que vous preniez vos médicaments à l'avenir. Ils ont pour objectif de réduire votre anxiété. Il est vrai qu'ils ramollissent un peu mais si vous souhaitez votre prompt rétablissement vous devez suivre à la lettre mes recommandations.

J'acquiesce sans rien répondre. Néanmoins, je me demande comment je vais suivre les prochains entretiens si ses médicaments m'endorment. Je ne vois pas non plus comment je vais pouvoir guérir avec un cerveau qui fonctionne au ralenti. Le Docteur Clear remarque mon silence.

  • Si vous n'êtes pas d'accord, vous pouvez l'exprimer ! me dit-il
  • Je n'ai pas grand-chose à dire là-dessus ! répondis-je

Il n'insiste pas et enchaîne sur une autre conversation.

  • Vous voulez bien me parlez de votre crise d'il y a deux jours ?
  • J'ai cru voir quelque chose et j'ai voulu savoir ce que c'était.
  • Humm ! quel chose pensez-vous avoir vu ?
  • Je ne m'en souviens plus très bien.

Je ne vois pas l'intérêt de cet entretien. A quoi bon lui parler de la femme sans visage ? S'il est vrai que grâce aux médicaments je ne la vois plus, je ne pourrai pas non plus faire ce que Romy m'a demandé. A savoir, de chercher ce qu'elles représentent pour moi. Une mission impossible si mon cerveau fonctionne au ralenti. Je vois bien que le Docteur Clear ne me croit pas et qu'il pense que je m'enferme exprès dans le silence.

  • Très bien, je veux bien vous dispenser de prendre des médicaments mais en contrepartie, vous devez suivre chaque matin un cours de méditation. Est-ce que ce compromis vous convient ?

D'abord étonnée par sa proposition, je réponds que oui cela me convient. L'entretien se termine. Il a duré environ une heure et demie. Je passe le reste de l'après-midi dans la salle de jeu. L'heure du dîner arrive très vite. Lorsque l'heure du coucher arrive, je m'endors d'un sommeil profond.


Chapitre 23

Je trouve agréable cette sensation de fraîcheur que j'éprouve en ce moment après une bonne nuit de sommeil. Je n'ai subi aucun cauchemar. Je pressens que cette journée sera excellente. Je me lève avec vigueur et m'empresse de me doucher pour être totalement réveillée. Une fois mes vêtements enfilés, je rejoins la fenêtre pour ouvrir les volets. Je m'attarde un instant pour évaluer le temps. Le ciel semble nuageux. Cependant, il ne l'est pas assez pour annoncer une pluie.

Je longe ma chambre pour parvenir à mon bureau. Une affiche multicolore collée sur le mur attire mon attention. Ça ressemble à un planning. Je rapproche ma tête afin d'y voir plus clair. J'ai vu juste. Il s'agit d'une sorte d'emploi du temps. Les journées sont quasi toutes les mêmes. Tous les matins à partir de 9 heures jusqu'à midi, je dois me rendre à des séances de méditation. Sauf les week-end, jours des visites des proches. Quant aux après-midis, à 14 heures j'ai un entretien avec le Dr Clear quatre fois par semaine, d'une durée d'une heure et demie. Le reste du temps, j'ai quartier libre. Enfin, façon de parler.

Un papier pense bête jaune est posé sur la journée d'aujourd'hui. Il est écrit qu'exceptionnellement je dois me rendre chez le Dr Clear ce matin. Je saisis la télécommande près de moi et allume la télévision. Je passe de chaîne en chaîne sans trouver une émission possible de m'intéresser. A part des dessins animés et le journal du matin, il n'y a pas de programme intéressant.

Je viens d'éteindre la télévision lorsque quelqu'un frappe à ma porte. Une infirmière entre précédée d'un chariot avec un plateau de petit déjeuner posé dessus.

  • Bonjour, je vous apporte votre petit déjeuner ! Dis donc, vous êtes bien matinale aujourd'hui ! S'exclame-t-elle.
  • Bonjour, j'ai dormi assez tôt hier, du coup je me suis réveillée avant 8 heures.
  • C'est bien ! Vous avez vu, au-dessus de votre bureau, un emploi du temps est affiché. Vous n'avez qu'à le suivre et tout ira bien. Aujourd'hui de façon exceptionnelle, votre entretien avec le Dr. Clear se déroulera le matin.

Je savais déjà toutes ses informations mais je me contente de dire :

  • D'accord, je suivrai l'emploi du temps.

Avant de s'en aller, elle dépose sur ma table de chevet une petite horloge. Cette dernière vient de pointée 8h30 lorsque je finis de petit déjeuner. Cinq minutes plus tard, je suis dans le couloir à la recherche de mon chemin. Je marche en essayant de rassembler mes souvenirs pour tenter d'obtenir des indices sur les bifurcations que je dois prendre. Je me perds trois fois. Finalement, je croise un personnel de l'hôpital :

  • Bonjour, pouvez-vous m'indiquer comment je peux me rendre au bâtiment B ? S'il vous plaît ?
  • Vous n'êtes plus très loin. Continuez tout droit, ensuite tournez à gauche. Puis vous continuez tout droit jusqu'à ce que vous traversiez un couloir vitré qui permet de voir le parking puis arrivée au bout tournez à gauche et vous serez dans le bâtiment B.
  • Très bien, merci.
  • Je vous en prie.

Je suis le chemin indiqué. Je reconnais enfin le couloir qui mène jusqu'au bureau du Dr. Clear. Je frappe à la porte et j'entends :

  • Entrez !

J'ouvre la porte et la referme derrière moi. Le Dr Clear me fait signe de m'asseoir. Je prends place sur le fauteuil blanc de la dernière fois. Il est toujours aussi confortable.

  • Comment-allez-vous ? Me questionne-t-il.
  • Je vais plutôt bien, merci répondis-je.
  • Aujourd'hui, j'aimerai en savoir un peu plus sur votre crise d'il y a quelque jour. Je voudrai que vous me racontiez ce qui s'est passé depuis le début.

Je prends une grande respiration avant de commencer mon récit.

  • Je venais de rentrer d'une promenade dans le jardin. J'ai bu du thé et la chaleur que ce boisson m'a apporté m'a donné envie de dormir. Durant mon sommeil, j'ai fait un rêve. J'étais dans le brouillard, impossible de voir quoi que ce soit. Je m'avançais à tâtons lorsque j'aperçu une jeune femme. Elle me tournait le dos. Je voulais m'approcher d'elle. Mais une fois arrivée à sa hauteur, elle se retourna vers moi et me saisit mon poignet gauche. J'ai reconnu la femme encapuchonnée et je me suis réveillée en sursaut. Ensuite, je regardais tout autour de ma chambre. Et j'ai vu près de la porte de sortie cette même femme encapuchonnée. J'ai voulu l'attraper c'est pourquoi j'ai couru dans le couloir.
  • Est-ce la première fois que vous voyez cette femme encapuchonnée ? M'interroge-t-il.
  • Non, ce n'est pas la première fois. Je n'ai pas cessé de la voir depuis le début de l'année universitaire.
  • Est-ce que le fait d'aller à l'université vous rendait anxieuse ?
  • J'appréhendais un peu l'environnement nouveau qu'elle annonçait. Mais je n'avais pas peur de m'installer seule dans mon studio.
  • Pour qu'elle raison voulez-vous attraper cette femme encapuchonnée ?
  • Je voulais l'attraper pour qu'elle cesse de me harceler.
  • Si vous l'avez attrapé, que lui aurait vous dit ?
  • Je lui dirais de me laisser tranquille, d'arrêter de me hanter que ce soit dans mes rêves ou dans la réalité.

Le Dr Clear hoche la tête avant d'annoncer :

  • L'entretien d'aujourd'hui est terminé. Vous assisterez à votre première séance de méditation tout à l'heure. Vous me direz ce que vous en avez pensé lors de notre prochain entretien.

Je me contente d'acquiescer. En sortant du bureau, je me rends dans ma chambre pour y récupérer mon manteau. Après quoi, je me promène dans les allées du jardin. Ma promenade est sensée durer jusqu'à l'heure du déjeuner mais le vent glacial m'empêche de rester dehors longtemps. Lorsque je suis de nouveau dans ma chambre, la petite horloge indique 11h30. J'ouvre l'armoire afin d'y trouver un sac dans lequel se trouve un cahier et une trousse.

Je suis à présent en train de coucher sur papier mes différents ressentis. C'est ainsi que j'écris :

« Je me sens un peu mélancolique. Je m'ennuie dans cet endroit où j'estime que je n'ai pas ma place. Je dois admettre que je suis anxieuse. Mais une petite anxiété ne signifie pas qu'il faille m'interner. Mais c'est peut-être là mon erreur, pour moi il ne s'agit que d'une anxiété passagère tandis que pour mon entourage le problème est plus vaste. Mon unique espoir réside dans ma prompte guérison puisque je suis entre guillemet malade. Pour aborder un autre sujet, j'ai hâte d'assister à ma séance de méditation tout à l'heure. Je n'ai encore jamais pratiqué ce type d'activité. Un peu de nouveauté me changera certainement les idées. Il semblerait que je commence à avoir faim parce qu'un gargouillement sinistre vient de s'échapper de mon ventre. »

L'entrée soudaine d'une infirmière interrompe mon récit. Elle me demande si je souhaite manger dans ma chambre ou à la salle à manger. Cela fait trop longtemps que je m'isole. Ce n'est pas un comportement favorable à observer chez moi. Je décide donc de manger avec les autres patients. Un brouhaha général m'accueille lorsque je m'introduis dans la salle. Je prends place non loin de la porte d'entrée. Une fois assise, j'attends patiemment le déjeuner. Ce dernier dura une heure. Une fois sortie de table, je retourne dans ma chambre pour y faire une sieste. Mais avant de dormir, je règle la minuterie de ma petite horloge pour que je sois réveillée un quart d'heure avant ma séance de méditation.

Quand le son aigu de la montre vibre près de mon oreille, je l'éteins d'un coup sec de ma paume gauche. Je somnole encore cinq minutes dans mon lit avant de me lever pour aller laver ma figure dans la salle de bain. Heureusement, j'ai repéré la salle avant le déjeuner. Elle se trouve au ré-de chaussée, à l'opposé de la salle à manger. J'arrive cinq minutes à l'avance. Cependant, la salle est déjà remplie. Des sortes de tapis noirs rectangulaires sont disposés par terre un peu partout. Un espace d'environ 1m sépare un tapis d'un autre. Le parterre ressemble à du gazon synthétique.

Quelques minutes se passent dans un brouhaha général le temps que tout le monde s'installe. Chacun a pour consigne de se tenir en tailleur, le dos droit et le choix de garder ses yeux ouverts ou fermés. S'ensuit un long exercice de respiration. Je dois me concentrer sur le fait d'inspirer et d'expirer. Les yeux fermés, j'inspire puis j'expire. Au début, je me sens ridicule et une formidable envie de rire m'envahit. Je réussis tant bien que mal à me contenir. J'ouvre un œil pour voir mes voisins. La plupart ont les yeux fermés. Au bout d'un moment j'entends des gazouillements d'oiseaux. J'entrouvre brièvement mes yeux afin d'identifier l'origine du son. Mais je n'y parviens pas. Je referme les yeux et me concentre de nouveau sur ma respiration. Peu à peu, j'adhère au rythme. J'ignore combien de temps suis-je restée ainsi, mais il me semble que le temps a passé trop vite lorsque la formatrice annonce que c'est la fin de la séance. J'ai pris goût à cette sensation de plénitude. Mais toute bonne chose a une fin.

Je passe la fin de l'après-midi à jouer aux cartes dans la salle de jeu. Puis l'heure du dîner approche. Je n'ai pas eu grand appétit parce que le plat principal est de la quenelle avec une abondante sauce que je n'ai pas pu apprécier. Je ne finis donc pas mon assiette. Un peu plus tard, je suis dans ma chambre où je regarde une série télévisée. Le premier épisode n'a pas commencé depuis vingt minutes que je sens mes paupières lourdes. J'éteins la télévision et m'endors aussitôt.


Chapitre 24

Je me réveille de bonne humeur. Je vais poursuivre ma séance de méditation d'hier. Je m'empresse de m'habiller de sorte que je suis prête avant 8h du matin. Après le petit déjeuner, je me rends dans la salle dédiée à la méditation. La formatrice m'accueille chaleureusement :

  • Bonjour, je vous prie de vous installer où vous voulez !
  • Bonjour ! répondis-je.

Je prends une place vers la quatrième rangée. Peu de temps après, la salle est remplie. Le même exercice de respiration reprend. Pour mieux adhérer au rythme, je focalise toute mon attention sur les gazouillements d'oiseaux. Je suis incapable de dire à quelles espèces d'oiseaux appartiennent ces sons. Mais je me dis que ça n'a pas beaucoup d'importance. J'ai l'impression d'être assise dans un paysage inconnu dont le parterre est recouvert de gazon frais. J'imagine non loin de moi les arbres sur lesquels sont perchés ces oiseaux chanteurs. Je vois au loin les collines qui surplombent la vallée. Au bout d'un moment, la voix de la formatrice vient déranger cet instant de délice. A contrecœur, je reviens vers le monde réel qui me paraît bien fade après cette sublime vision.

La fin de la séance annonce l'heure du déjeuner. J'espère dans mon fort intérieur que le repas soit meilleur que celui de la veille. Je suis assise depuis cinq minutes à table. Les serveurs viennent déposer devant chacun une petite assiette sur laquelle est posée un croissant chaud. Après quoi, une assiette de spaghetti aux boulettes de viandes est placée devant moi. Je mange une tarte aux pommes en guise de dessert.

J'ai pris maintenant l'habitude de me promener après chaque repas du midi. Je me dépêche de chercher dans ma chambre mon manteau. Je suis en passe de connaître les allées du jardin par cœur. J'ai amené avec moi dans ma poche la montre de mon chevet. Je n'ai qu'une heure de pause avant mon entretien avec le Dr Clear. Je suis de nouveau installée dans mon confortable fauteuil. Le Docteur Clear va droit au but :

  • Quelles sont vos impressions sur vos deux séances de méditation ? M'interroge-t-il.

Je note la présence d'un bloc note sur son bureau. Je réponds :

  • Au début, je me suis sentie un peu ridicule mais ensuite j'ai pris le rythme et j'ai aimé l'expérience.
  • Humm ! fait-il. Qu'est-ce qui vous a plu ?
  • Ce qui m'a plu c'est la possibilité d'imaginer un univers qui m'est propre une fois que j'ai établis le calme en moi.
  • Et dans quel univers étiez-vous ?
  • J'étais au milieu de la nature, assise sur du gazon près de la berge. Tout près de moi se trouvait un arbre sur lequel était perché des oiseaux chanteurs. Je voyais au loin des collines. Le soleil brille tellement qu'il m'aveugle...

Je m'apprête à continuer ma description mais il dit :

  • Je vois ! vous vous êtes imaginée un univers de paix, un havre dans lequel vous pouvez vous réfugier.

Il prend une pause, semble réfléchir, saisit son stylo et écrit quelque chose sur son carnet. Il relève la tête et poursuit :

  • ... Depuis que vous avez assisté aux séances de méditation, avez-vous revue la femme encapuchonnée ? me questionne-t-il.

Ça fait un moment que je n'ai plus pensé à elle. Mais quand j'y réfléchis, il est vrai qu'elle ne m'est plus apparu depuis quelques temps. Ni dans mes rêves, ni dans la réalité. A vrai dire, je Ne le regrette pas. Au contraire, j'éprouve un grand soulagement face à ce constat. Son apparition m'a toujours causé de grandes agitations et des questionnements sans fin. J'ai involontairement baissé mes yeux pendant cette courte réflexion. Lorsque je relève la tête, le Dr Clear m'observe et attend patiemment ma réponse.

  • Je m'excuse, j'étais perdue dans mes pensées.
  • Ce n'est rien ! me répond-il.
  • La réponse est non. Je veux dire, que je ne l'ai pas revue depuis ma crise de la dernière fois.
  • C'est plutôt une bonne chose ! conclut-il. Cependant, j'aimerai en savoir un peu plus concernant les circonstances qui vous ont amené à l'apercevoir pour la première fois.

L'idée de raconter le récit de mes expériences singulières et douloureuses aussi bien au sens physique que mental du terme me pétrifie d'horreur. Je peine à réprimer une grimace. Pour me donner du courage, je me dis que lui relater toute cette histoire peut m'aider à éclairer certaines zones d'ombres que seule je ne suis pas parvenue à résoudre. Je m'éclaircis la gorge et je débute mon récit :

  • Je me promenais dans le centre-ville après la pré-rentrée universitaire. Collé sur un mur, une affiche annonçait le déstockage total d'une boutique d'antiquité. J'y suis allée par curiosité. J'étais entrée dans une vaste pièce remplie d'objets. Je reconnais au bout d'un moment un coin bibliothèque. Je m'y dirigeais. Je regardais distraitement un vieil exemplaire des trois mousquetaires de Dumas sans vraiment m'y intéresser. Cependant, je le reposais pour saisir un autre livre. Je le feuilletais lorsque j'ai eu la sensation qu'on m'observe. J'ai levé ma tête du bouquin mais l'obscurité de la pièce m'empêchait de voir loin. Je replongeais dans ma lecture lorsque l'antiquaire arriva. J'étais un peu surprise mais je me ressaisis aussitôt. Je pensais alors que la personne qui m'observais, était l'antiquaire. Mais je me rendais compte que ce n'était pas lui. Avant de m'en aller, l'antiquaire voulait m'offrir le vieil exemplaire de Dumas, mais j'ai refusé. Ce jour-là, je n'ai pas pu découvrir la personne. Pourtant, je voulais absolument savoir qui était cette personne. Je retournais une seconde fois à la boutique d'antiquité, mais elle était fermée. Je ne pouvais pas interroger l'antiquaire. En regardant vers le coin du mur de la boutique, j'ai vu une personne encapuchonnée m'observer. J'ai voulu la poursuivre mais elle avait déjà disparu. J'analysais plus tard grâce à un détail particulier, à savoir des ongles brillants qu'il s'agissait d'une femme. Je me rendais une troisième fois à la boutique et cet fois je m'étais cogné sur le bout de table de la bibliothèque. Quelque chose de lourd est tombé pendant que je me pliais en deux de douleur.

Pendant tout ce temps, le Dr Clear prend en note tout ce que je lui raconte. Il regarde brièvement sa montre. Je reconnais avoir parlé longtemps. Cependant, il me dit :

  • C'était donc dans cette boutique d'antiquité que vous l'avez aperçu pour la première fois.
  • Exact.
  • Et depuis ce jour, elle n'a pas arrêté de vous poursuivre. A aucun moment, vous n'avez jamais pensé qu'il peut s'agir d'une vision et non de la réalité.
  • J'étais trop exaltée pour pouvoir y réfléchir de façon saine. D'ailleurs, je vous ai dit que je n'avais pas pris le vieil exemplaire de Dumas. Pourtant il était dans mon sac. C'est que quelque part, il y a du réel là-dedans.
  • Vous êtes sujet à une grande anxiété Bérénice. Et parfois, une crise d'anxiété aigu peut amener une personne à avoir des hallucinations...

Je secoue vigoureusement la tête pour contredire son interprétation.

  • ... Si Bérénice, cette femme vient de votre imagination. Elle est sans doute le fruit d'un profond conflit intérieur dont vous ne parvenez pas à gérer.
  • Et le livre alors ? Persisté-je. Il ne peut pas venir de mon imagination. Quelqu'un a bien dû le mettre dans mon sac.
  • L'entretien se termine pour aujourd'hui. On reprendra sur ce point lors du prochain entretien me répond-il.

Je suis de nouveau dans ma chambre. Je dois réfléchir à tout ça. Je ne suis toujours pas convaincue que la femme encapuchonnée soit le fruit de mon imagination. Elle m'a trop poursuivi dans ma vie réelle, hanté dans mes rêves. Tout à coup, je me mets à penser aux paroles Romy. Il faut que je cherche ce qu'elles représentent pour moi.

Tout à l'heure en résumant mon histoire au Dr Clear, je me suis rappelée les quelques bribes de conversations que cette femme encapuchonnée a eu avec moi. Elle s'est présentée comme étant le sentiment que je fuis le plus. Mais de quel sentiment s'agit-il ? la seule chose dont je suis certaine c'est qu'à chaque fois que je la vois, elle m'inspire de l'angoisse. C'est peut-être ce sentiment qu'elle représente. Dans ce cas, Romy doit être son opposé. Je me remémore les discussions que j'ai établi avec elle. Elle s'est présentée comme un guide, une conseillère. Après chacune de nos conversations, je me sentais revigorée. Quand je me suis mise à appliquer ses conseils, un sentiment nouveau est né en moi. De l'espoir.

Voilà, je les ai identifiées. L'angoisse et l'espoir. Deux sentiments opposés. Et comme le disait le Dr Clear, il s'agit sans doute d'un conflit intérieur qui se manifeste à travers les deux femmes.

Le temps passe vite. L'obscurité commence à régner dans ma chambre. Je ferme les volets et allume la lumière. Peu de temps après, on m'appelle pour le dîner. Pour m'aider à m'endormir, je pratique l'exercice de la respiration. Sans surprise, le sommeil me gagne rapidement.


Chapitre 25

Je me réveille en douceur et me lève pour ouvrir les volets. Il ne fait pas encore jour. En jetant un coup d'œil vers l'horloge, elle affiche 6h30. Après avoir rangé mon lit, je me prépare. Il est 7h15 lorsque je sors de la salle de bain. En passant près de mon bureau, je vois mon cahier. Je m'assois face à la table. J'allume la lampe près de moi. En ouvrant le cahier, je relis ce que j'ai écrit la dernière fois. Je reconnais que les séances de méditation m'ont rendu moins nerveuse et moins déprimé. Cependant, je regrette de ne plus pouvoir parler à Romy. Elle avait le pouvoir de m'éclairer dans mes heures perdues, de me consoler quand j'éprouvais du chagrin, de me redonner courage lorsque j'abandonnais mes efforts. Bref, elle était le réconfort de mon âme tourmentée.

J'ai presque envie de revivre mes crises d'angoisse rien que pour la revoir. C'est comme une vieille habitude acquise depuis trop longtemps dont il m'est difficile de m'en débarrasser. Il me faut un nouvel équilibre. J'espère pouvoir élucider aujourd'hui lors de mon entretien avec le Dr Clear le mystère du livre.

On vient de m'apporter mon petit déjeuner. Je mange lentement. Après quoi, je me rends dans la salle de méditation. Arrivée sur place, une infirmière informe l'assemblée qu'il n'y aura pas de séance de méditation ce matin. Un brouhaha s'élève aussitôt dans la salle.

  • Votre attention s'il vous plaît, je n'ai pas fini, vous pouvez vous rendre dans la grande salle ajoute-t-elle.

Génial, j'ai toute ma matinée de disponible. J'ai le choix entre aller dans la grande salle pour jouer à des jeux de société avec les autres. Soit d'attendre patiemment dans ma chambre. Puis soudain, une idée m'inspire. Alors que tout le monde se dirige vers la porte de sortie, je m'approche de l'infirmière.

  • Bonjour madame, est-ce que je peux téléphoner à quelqu'un ?
  • Vous voulez téléphoner à qui ? Me questionne-t-elle
  • A mon grand frère.
  • Venez, suivez-moi, je vais vous accompagner près de l'accueil m'annonce-t-elle.

Elle explique à la personne de l'accueil que je souhaite téléphoner à mon frère. La personne derrière l'accueil m'indique du doigt une sorte de cabine téléphonique vers sa gauche. Avant de me laisser entrer dans la cabine elle me demande :

  • Vous connaissez le numéro de votre frère ?
  • Oui, je le connais merci.
  • Très bien me dit-elle avec le sourire. Puis elle s'en va.

Je tape à toute vitesse le numéro de mon frère que je connais par cœur. La sonnerie sonne une fois, deux fois, trois fois. Mince ! Peut-être qu'il est occupé. Cependant à la quatrième sonnerie, il décroche :

  • Bérénice ! S'exclame-t-il d'une voix étonnée. Est-ce que ça va ?
  • Salut Théo ! T'inquiète je vais bien. La séance de méditation est annulée ce matin alors j'ai pensé t'appeler. Tu es occupé là ?
  • Non je suis dans mon appart. Je commence à rédiger mon mémoire. Tu veux que je vienne te voir ? Me propose-t-il.
  • Je ne sais pas si tu peux venir en dehors des week-ends.
  • Oui, je peux te rendre visite soit avant midi soit entre cinq heures de l'après-midi et sept heures du soir.
  • D'accord, tu penses arriver vers quelle heure ?
  • Vers onze heures.
  • Avant que j'oublie, est-ce que tu peux m'apporter des livres s'il te plait. Histoire que je ne m'ennuie pas quand il y a un imprévu comme ce matin.
  • Très bien, tu veux quoi comme livre ? Je n'ai pas trop de bouquin dans mon appart. À part des manuels d'ingénierie informatique. Mais je ne pense pas que ça t'intéresse.
  • Non effectivement ce n'est pas trop ce que je cherche. Oublie les livres, ce n'est pas grave.
  • Je suis désolé petite sœur, à tout l'heure !

Je raccroche. En passant vers l'accueil, je regarde l'heure affichée sur le cadran accroché au mur. Dix heures moins le quart.

  • Tout s'est bien passé ? M'interpelle la réceptionniste.
  • Oui, le réseau passe très bien par ici.

Il ne me reste plus qu'à attendre. Je me dirige vers la salle d'attente. Je prends place sur l'un des fauteuils qui entoure une table ronde. Une pile de magazine est disposée au milieu. Je saisis un magazine de santé qui affiche en gros titre « déstockage simple et rapide sans se priver ». Je regarde machinalement le sommaire, puis je me mets à feuilleter fébrilement les pages. Je m'impatiente. J'irai volontiers me promener dans le jardin mais je crains de prendre froid. Après ce qui me semble être une éternité, j'entends enfin la voix de mon frère dans le hall d'entrée, sans doute vers la réceptionniste. Je me lève promptement de mon fauteuil pour aller le rejoindre. Cependant, arrivée sur le seuil de la porte, je m'arrête. Steeve est là. Il tient quelque chose dans ses mains. Mais impossible de savoir quoi, je suis trop loin pour voir.

  • Tenez, votre sœur est là-bas près de la porte de la salle d'attente, dit la réceptionniste.

Mon frère se retourne.

  • Salut petite sœur ! S'exclame-t-il joyeusement.

Steeve me dit :

  • Bonjour Bérénice, d'un air calme. J'ai cru comprendre que tu veux des livres.

Il me tend le paquet qu'il tient.

  • Waouh ! Merci Steeve. Mais il ne fallait pas, j'ai dit ça comme ça balbutié-je un peu gênée.

J'ouvre le paquet. Ce n'est pas UN livre, mais un coffret entier de Jane Austen.

  • Merci beaucoup Steeve ! Dis-je avec émotion. Mais tu n'aurais pas dû répète-je.

Je me tourne vers mon frère :

  • Tu aurais dû l'empêcher d'acheter ce coffret de livre lui reproche-je.
  • Tu sais que d'après Blaise Pascal, « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. » me réplique-t-il en riant.

Nous passons notre temps à discuter de tout et de rien. Au bout d'un moment, un personnel médical vient nous interpeller :

  • Je m'excuse de vous déranger mais c'est l'heure du déjeuner.

On se dit au revoir à contre cœur. Le temps du déjeuner me semble rapide. Je dépose dans ma chambre le coffret de livre que Steeve vient de m'offrir. Je me rends lentement vers le bureau du Docteur Clear.

Je m'installe dans mon habituel fauteuil.

  • Comment allez-vous Bérénice ? Commence-t-il.
  • Je vais bien depuis que j'ai arrêté de voir la femme encapuchonnée. Mes séances de méditations m'ont beaucoup aidé.
  • Justement aujourd'hui et demain les séances de méditation sont annulées. Et si vous me parlez de ce que vous avez fait ce matin pour débuter cet entretien.
  • J'ai choisi d'appeler mon frère. Il est venu me rendre visite avec son ami. J'ai voulu changer un peu mon quotidien précise-je.
  • Humm, je comprends. Lors de notre dernier entretien, vous avez parlé d'un livre qui s'est retrouvé dans votre sac alors que vous ne l'avez pas pris lorsque vous étiez chez l'antiquaire. Vous avez pensé que c'était la femme encapuchonnée qui l'avait mis dans votre sac.

J'acquiesce, ne trouvant rien à ajouter.

  • Comme je vous l'ai expliqué, la femme encapuchonnée est le fruit d'un conflit intérieur. Ce qui signifie qu'elle n'est pas réelle. Par conséquent, ce n'est pas elle qui a mis ce livre dans votre sac.

J'ai du mal à ne pas l'interrompre, mais je réussis à me taire et à le laisser poursuivre son analyse.

  • ... Cependant, il existe une explication rationnelle à la présence de ce livre. Lorsque vous m'avez raconté le récit de vos visites répétées chez l'antiquaire, à la troisième visite vous vous êtes blessée. Vous vous êtes cogné et quelque chose est tombée. Et cette chose c'est le livre.

Il marque une pause, sans doute dans l'attente d'une réaction de ma part qui ne tarde pas à venir.

  • Pourtant, elle était là quand j'ai trouvé le livre persiste-je. Sans parvenir à trouver un argument pour appuyer mon affirmation.

Le Dr Clear reprend la parole :

  • Admettons l'hypothèse que la femme encapuchonnée a mis ce livre des trois mousquetaires dans votre sac. A votre avis pourquoi aurait-elle fait cela ?
  • Parce qu'elle veut souligner mon incapacité à avoir de vrais amis répondis-je du tac au tac.
  • Quand vous étiez à l'université, vous vous êtes fait des amis ?
  • Pas vraiment. Je préfère rester seule.
  • Pourquoi ça ?
  • Parce que comme ça, je ne serai ni déçue ni contrariée.
  • Que vous apporte cette solitude ?
  • La sécurité répondis-je spontanément.
  • Je comprends votre besoin de sécurité Bérénice, mais vous devez explorer votre environnement. C'est pourquoi, il est primordial d'avoir des amis. Vous renfermer sur vous-même n'est pas une solution. Il n'est pas nécessaire d'avoir un nombre d'ami flagrant mais un ou deux suffisent.
  • Croyez-vous que je n'aie jamais essayé d'avoir des amis ? dis-je sans arriver à supprimer un soupçon de mépris dans ma voix.
  • Pour vous qu'est-ce qu'être un ami ?

Je réfléchis un instant avant de répondre à sa question. En vérité, j'ai tendance à aborder les gens avec un peu trop de confiance. Un manque de prudence dû à mon caractère naïf.

  • Pour moi, un ami est une personne en qui je peux faire confiance à tout moment. Mais c'est rare ne pus-je m'empêcher d'ajouter.
  • En effet, les amis de confiance sont rares mais pas impossible à trouver. Mais pour qu'un groupe puisse vivre ensemble, chacun de son membre doit être tolérant les uns envers les autres.
  • Ah oui ! À qui le dites-vous ? J'ai toujours accepté les personnes que j'ai rencontré telles qu'elles sont. Je me suis sans arrêt remise en question sur ce qui ne va pas chez moi pour qu'on me rejette. Vous savez ce que je ne comprends pas ?
  • Non, je ne le sais pas.
  • Je ne comprends pas ce qui anime tous ces gens lorsqu'ils voient une personne en souffrance et qu'ils s'obstinent à empirer cette souffrance. Est-ce pour les soulager de leur propre douleur ? Dans ce cas, je ne vois pas ce qui les console ni le plaisir qu'ils en retire.
  • Qu'est-ce que vous entendez par le fait qu'ils s'obstinent à empirer cette souffrance. Donnez-moi un exemple.
  • Lorsqu'on est ami avec quelqu'un, on se partage à la fois nos joies et nos souffrances. Vous êtes d'accord ?

Il acquiesce.

  • Cependant, parmi les personnes que j'ai côtoyées, aucune d'entre elles ne respecte vraiment cette idée. Par exemple lorsque j'obtenais des bonnes notes la plupart du temps, ces gens me jalousait. Et inversement, lorsque je racontais quelque chose qui me faisait souffrir, ces mêmes gens me méprisaient. Tout ça pour dire que c'est compliqué d'être avec les autres. J'essaye tant bien que mal de suivre leur rythme, mais je suis toujours en décalage. Alors je préfère renoncer à leur compagnie et me contenter de ma propre compagnie.
  • Si je peux me permettre de faire cette suggestion, à mon avis vous devriez participer à des activités créatives pour exprimer vos ressentis. De plus, je pense à moins que je ne me trompe que vous ne partagez pas beaucoup d'affinité avec les personnes que vous avez côtoyé. Ce qui explique l'incompréhension entre vous et ces gens. Votre meilleure chance de trouver de vrais amis comme vous dites, c'est de trouver des personnes qui ont les mêmes goûts que vous, les mêmes passions, les mêmes passe-temps. Sur ses dernières paroles, je vous laisse, notre séance d'aujourd'hui est terminée. Et n'oubliez pas de penser à une activité qui peut vous aider à vous exprimer.

Je passe les dernières heures avant le repas du soir à réfléchir sur la proposition du Dr Clear. Une fois le repas du soir terminé, je remonte dans ma chambre et me couche aussitôt.


Chapitre 26

Une lueur aveuglante agresse mes yeux. J'ignore sa provenance, cependant, je distingue au loin deux silhouettes distinctes. J'éprouve une irrésistible envie de m'approcher. Je m'avance en levant mon bras gauche pour me protéger de la lumière. Les deux silhouettes sont face à face. Elles se rapprochent l'une de l'autre avant de fusionner pour ne former qu'une seule silhouette. Cette dernière se dirige vers moi. Je constate alors que la lumière provient d'elle. Bérénice ! Entendis-je appeler. La voix me semble vaguement familière. Lorsque la silhouette est presque en face de moi, je suis contrainte de fermer les yeux étant donné que la lumière m'aveugle.

  • Tu peux ouvrir les yeux, j'ai diminué ma lumière me susurre une voix que je reconnais être celle de Romy.

Une joie immense m'envahit aussitôt. J'ouvre les yeux. Un sourire s'affiche sur son visage.

  • Salut, où est-ce que t'étais passé ? La questionne-je d'une voix un peu accusatrice.
  • J'ai toujours été là ! Me répond-elle en désignant mon cœur.
  • C'était qui la personne que j'ai vu avec toi ?
  • Celle qui te faisais peur.

Sur le moment, je ne comprends pas, puis je saisis enfin de qui il s'agit. C'était la femme encapuchonnée.

  • Pourquoi est-elle entrée en toi ? Interrogé-je un peu intrigué.
  • Parce que l'espoir chasse la peur et l'angoisse.
  • C'est pour ça que tu es lumineuse comme une étoile hasardé-je.
  • Je suis lumineuse parce qu'il est temps pour moi de m'en aller.
  • De t'en aller ! Répété-je hébétée. Mais pourquoi tu dois t'en aller ?
  • Parce que tu n'as plus besoin de moi.
  • Mais c'est faux m'écrié-je. Sans toi je me sens abattue et sans défense. S'il te plaît ne pars pas la supplié-je.
  • Je ne te quitte pas vraiment ! Je serai toujours en toi pour te donner de l'espoir et de la confiance lorsque tu en auras besoin. Mais il est temps pour moi de partir et de te permettre de vivre pleinement.
  • Mais c'est grâce à toi que je peux vivre pleinement murmuré-je.
  • N'oublie pas que je suis une part de toi, en croyant en moi, tu as cru en toi. En faisant appel à moi, tu as mobilisé une force intérieure pour affronter le monde. Maintenant que tu as pris connaissance de cette ressource, tu dois désormais agir pour avoir le contrôle de ta vie.

Sur ceux, elle me prend dans ses bras pour une dernière étreinte. Au revoir Bérénice, sois forte, courageuse et heureuse entendis-je murmurer. Je me réveille avec un esprit calme.

Je viens de m'inscrire à l'atelier art thérapie. Il y a environ une quinzaine de personnes dans la salle. J'ai longuement hésité sur l'activité à prendre. Mais je suis décidée à appliquer le conseil du Dr Clear. Il me faut une activité qui puisse m'aider à m'exprimer. Un papier dessin est posé sur ma table. À sa droite sont alignés deux crayons à papier, des aquarelles et des feutres. Je ne sais pas encore ce que je vais dessiner. À vrai dire, je dessine rarement. Mes dernières esquisses datent du collège. J'ai envie de dessiner quelque chose qui a du sens pour moi. Mais quoi au juste. Un portrait de Romy ? Non, ça ressemblerait trop à un autoportrait. On me prendra pour une narcissique. Pourquoi pas une boîte à musique pensé-je.

Je commence à tracer sur ma feuille des traits rectangulaires. Toutefois, je ne cesse de gommer et de retracer sans arrêt et cela pas moins de sept fois. Au bout d'un certain temps, j'obtiens enfin un dessin ressemblant à un coffre rectangulaire ouvert. Il ne me reste plus qu'à dessiner la ballerine censée se trouver au milieu de l'objet. Là encore, le nombre de gommage est impressionnant. La fin de la matinée approche lorsque mon esquisse est terminée. Je tiens ma feuille du bout des doigts pour examiner d'un œil critique mon œuvre. Il semblerait qu'il manque quelque chose. La manivelle. Je dessine en vitesse une petite clé du côté droit du coffre. Sans considérer mon dessin comme une œuvre d'art, j'en suis tout de même satisfaite. C'est pourquoi je me dirige vers la salle à manger de bonne humeur.

Le temps du déjeuner m'a paru plus court que d'habitude. Peut-être parce que je suis plus enthousiaste que les autres fois. Ma demie heure de promenade quotidienne après le repas me semble tellement délicieuse que j'ai du mal à quitter le jardin pour me rendre à mon entretien avec le Dr Clear. Je prends place sur le fauteuil.

  • Bonjour Bérénice, tout d'abord comment allez-vous ?
  • Je me sens nettement mieux depuis quelque temps.
  • Vous m'envoyé ravi ! me répond-il en souriant. Pourtant vous n'êtes pas très bavarde remarque-t-il. Donnez-moi plus de détail sur le fait que vous vous sentez mieux. Ça fait deux jours que vous ne pratiquez plus la méditation alors dites-moi comment vous gérez votre humeur ?
  • J'ai réfléchi à votre conseil de pratiquer une activité pour exprimer ce que je ressens. Alors ce matin, je me suis inscrite dans un atelier art thérapie.
  • C'est très bien commente-t-il. Et vous avez choisi quel art ?
  • Le dessin.
  • D'accord et pourquoi le dessin ?
  • Parce que je n'aime pas exprimer de façon claire comme par le biais de l'écriture par exemple mes ressentis. J'ai besoin de protéger mes sentiments. Et d'après moi, le dessin est l'art qui me permet à la fois d'exprimer ce que je ressens tout en le dissimulant du regard curieux des autres.
  • Je vois dit-il en hochant la tête d'un air amusé. Et qu'avez-vous dessiné ?
  • Une boîte à musique. J'hésite un peu avant de poursuivre. Cet objet représente pour moi la période de l'enfance. La période de l'innocence et de la spontanéité.
  • Je ne comprends pas pourquoi vous pensez que dessiner dissimule vos émotions.
  • C'est simple, lorsque les gens regarderont mon dessin, ils se contenteront de me dire s'il est joli ou non sans se demander ce qu'il signifie. A la rigueur ils souhaiteront savoir pourquoi j'ai dessiné une boîte à musique. Une question que je répondrai simplement par : parce que j'en avais envie.

Le Dr Clear rit de bon cœur face à ma réponse.

  • Ça fait un moment que vous n'avez plus parlé de votre anxiété reprend-il. La méditation aide à la calmer mais elle ne la supprime pas. Vous avez réfléchi à l'origine de cette anxiété me questionne-t-il.
  • Pas vraiment, je pensais que la méditation et le fait de dessiner sont une méthode pour la combattre. C'est ce qui est le plus important non !
  • Vous parlez de « combat ». Justement, c'est là où je voulais en venir. Il me semble plus judicieux d'accepter l'anxiété comme un sentiment inévitable dans la vie pour mieux en déchiffrer l'origine plutôt que de la combattre. A mon avis, la femme encapuchonnée représente votre état d'anxiété. Un conflit intérieur qui réveille votre instinct de survie face à un danger potentiel.

« Représentait » ai-je envie de lui reprendre mais je ne dis rien. Romy l'a définitivement repoussé. Je me rends compte que je n'ai jamais parlé de Romy au Dr Clear. Mais j'ai envie de la garder pour moi et moi seule. Comme un jardin secret précieux.

  • Il est vrai que j'appréhendais la rentrée universitaire avoué-je. L'idée de me retrouver seule dans un lieu inconnu m'angoissait au plus haut point. J'avais espéré que la perspective de vivre librement suffirait à surpasser l'angoisse mais non.

Je m'interrompe perdue dans mes pensées.

En réalité, dès le premier mois passé à l'université, j'avais ressenti une sensation oppressante de mélancolie. Lorsque j'étais en cours, j'étais là sans être là. Bref, j'avais l'impression de ne pas être à ma place. Et plus le temps avançait, plus ça empirait.

  • Oui, m'encourage-t-il, continuez.
  • Mes crises d'angoisse sont certainement liées à mes sentiments d'insécurité qui s'ajoute à mon manque de confiance en moi lâché-je d'un coup.
  • Quand vous parlez de sentiment d'insécurité, qu'est-ce que vous ressentez exactement ?
  • Au milieu des autres, je suis un peu comme une Alien qui débarque d'une autre planète. Je me sens vulnérable, à la merci des cruautés qui m'entourent. C'est aussi pour ça que je choisis souvent de rester seule. C'est une sorte d'auto-défense. La plupart des gens redoute la solitude mais pas moi. C'est ma force. La foule me déstabilise tandis que la solitude me redonne l'équilibre dont j'ai besoin.
  • Vous redoutez le jugement des autres conclut-il.
  • Peut-être dis-je d'un ton neutre.
  • Vous devez garder à l'esprit que si vous voulez avancer, il est indispensable d'accepter l'idée de ne pas plaire à tout le monde. Je vous conseille de continuer les ateliers d'art thérapie. N'hésitez pas à varier le type d'activité. Sur ce, l'entretien d'aujourd'hui s'achève m'annonce-t-il.

Je suis soulagée d'avoir enfin exprimé une émotion que j'ai gardé longtemps au fond de moi. Peu de temps après, je descends diner. Une fois rentrée dans ma chambre, et après avoir enfilé mon pyjama, je m'allonge sur mon lit et m'endors d'un sommeil paisible.


Chapitre 27

J'entreprends l'inventaire de mes affaires pour ne rien oublier. Il y a deux jours, le Dr Clear a établi mon diagnostic. Ayant jugé mon état stable, il a signé mon autorisation de sortie. Je n'arrive pas à déterminer le sentiment qui domine en moi. Il oscille entre la joie de retrouver ma liberté perdue depuis un certain temps et ma crainte d'affronter de nouveau le monde réel.

J'observe ma valise d'un air de doute. Je me demande si tous mes affaires vont entrer à l'intérieur. J'ose l'espérer. Je commence à la remplir. Au bout d'une vingtaine de minutes, la valise est pleine. L'armoire ne contient plus aucun vêtement. J'inspecte une dernière fois les tiroirs au cas où. Mais il n'y a plus aucun objet. Il ne me reste plus qu'à tenter de refermer ma valise. Je bataille avec la fermeture qui ne cesse de s'entremêler avec les vêtements qui débordent. Après un ultime effort, je parviens enfin à la refermer.

Il est presque 9h30 du matin. Je m'impatiente. Que font mon frère et ma mère ? Ils sont censés venir me chercher à 9h. Pourtant toujours pas de nouvelle d'eux. J'ai envie de descendre moi-même ma valise jusqu'au ré de chaussée. Je la saisis à deux mains, cependant pas un seul centimètre ne se soulève, elle est trop lourde. Exaspérée, je laisse tomber en priant qu'ils ne vont pas tarder. Je n'ai qu'un seul désir : sortir d'ici. Après des minutes qui m'ont paru interminable, quelqu'un frappe à ma porte.

  • Salut ! S'exclame mon frère tout en poussant la porte pour entrer.

Ma mère sur ses talons.

  • Bonjour Bérénice dit-elle. J'ai conduit et je me suis perdue en route ce qui explique notre retard s'excuse-t-elle d'emblée.
  • Ce n'est rien mentis-je désireuse d'apaiser l'atmosphère. Je suis prête pour le grand retour à la maison.

En saisissant ma valise, mon frère s'écrie :

  • Waouh ! Tu as rempli ta valise pour toute une vie ou quoi ?
  • J'admets que c'est un peu lourd ! Dis-je un peu confuse. On a qu'à le porter ensemble proposé-je aussitôt.
  • Non ça ira répond-il, je vais me servir des roulettes, je ne la porterai qu'occasionnellement.

Une fois arrivée dans le hall d'entrée, nous passons devant l'accueil.

  • Bonjour Mesdames, monsieur, claironne aussitôt la femme qui s'y trouve. Puis elle tend une feuille d'autorisation de sortie. Vous devez signer ici ajoute-t-elle en désignant avec son doigt un cadre rectangulaire.
  • Il me semble que j'en ai déjà signée une avec le Dr Clear dis-je involontairement.
  • C'est vrai, mais celle-ci est destinée aux autres personnels de l'hôpital. Eh bien, je vous souhaite une bonne journée et plein de bonne chose déclare-t-elle en reprenant la feuille.
  • Merci, à vous de même !

J'aide mon frère à hisser ma valise dans le coffre de la voiture. Cette fois, c'est Théo qui conduit. Je prends place sur le siège passager arrière.

  • Théo, tu vas prendre l'autoroute ou la nationale ? le questionné-je.
  • Ça dépend me répond-il mystérieusement.
  • Ça dépend de quoi répliqué-je un peu agacée.
  • Tu préfères admirer le paysage ou arriver au plus vite à la maison ?

Je mets un petit moment à lui répondre. La maison m'a manqué c'est vrai mais je n'ai pas envie de le bousculer.

  • Je n'ai pas de préférence en particulier annoncé-je prudemment.
  • Puisque tu m'as posé la question, il faut que tu choisisses m'intime-t-il.
  • Maman tu choisis quoi ?
  • Peu m'importe, autoroute ou national tant que j'arrive à bon port c'est l'essentiel.
  • Eh bien, je préfère admirer le paysage tranché-je.

Théo enclenche le contact de la voiture et le moteur se met à ronronner. En longeant la rue, j'entrevois le jardin dans lequel je me suis souvent promenée. C'est sans doute le seul lieu qui me manquera lorsque je repenserai à cet endroit. La voiture ne met pas longtemps à s'engager sur la route nationale. Le paysage se déroule à toute vitesse sans me laisser le temps de m'attarder sur les détails. Tout ce que je vois c'est de la verdure à perte de vue et quelques maisons de temps à autres.

Ce voyage me rappelle celui de la rentrée de septembre. Les mêmes personnes dans la même voiture mais pas pour la même destination. Je ferme les yeux. Bercée par le mouvement de la voiture, le sommeil me gagne sans crier gare. Une soudaine immobilité alerte vaguement mon esprit. J'entrouvre légèrement mes paupières.

  • Nous sommes arrivés ! Déclare joyeusement mon frère assez fort pour me réveiller complètement.

La voiture est garée juste en face de la maison. Tandis que ma mère nous tient la porte, Théo et moi transportons ensemble ma valise. Après avoir franchi les marches du perron, on avance le long du couloir.

  • On peut faire une mini pause annoncé-je, alors qu'on se trouve juste à deux pas de l'escalier.

On dépose la valise à terre ensemble. Deux minutes plus tard, je retiens mon souffle tout en m'efforçant de gravir les marches de l'escalier un à un pour éviter de tomber. Ma valise se trouve enfin sur un tapis au milieu de ma chambre.

  • Merci beaucoup Théo dis-je haletante.
  • De rien petite sœur ! En fait, tu as lu les livres que Steeve t'a offert ? Me demande-t-il subitement.
  • J'en ai lu deux sur les cinq qui se trouvent dans le coffret pourquoi ?
  • Parce que je vais aller chez lui tout à l'heure. Tu veux m'accompagner ?
  • Qu'est-ce que tu veux que j'aille faire là-bas ? Dis-je un peu gênée.
  • Peut-être pour lui dire qu'il a bon goût en termes de bouquins suggère-t-il avec un sourire en coin.
  • Non, je préfère rester à la maison. Je veux garder cette journée pour moi répondis-je.

Il n'insiste pas. Peu de temps après, nous nous installons à table. Je finis de laver la vaisselle lorsque mon frère annonce son départ.

Je déballe mes affaires dans ma chambre. En ouvrant mon armoire, je me rends compte qu'il n'y a plus beaucoup de place. Le tri s'impose. Je me rends au grenier à la recherche de cartons pouvant servir à placer les vêtements que je ne porte plus. Les mains chargées de deux grands cartons, je tente de repérer mon chemin. Une entreprise particulièrement difficile, les cartons m'empêchant de distinguer quoi que ce soit à plus de deux pas. Excédée, je les dépose à terre. Puis je les emporte un à un dans ma chambre.

Je commence à vider mon armoire. J'ai délimité la surface de mon lit en deux parties distinctes à l'aide de trois coussins. Le côté gauche pour les vêtements que je garde et le côté droit pour ceux que je vais mettre dans les cartons. Au bout de deux heures et demie de tri, les deux cartons sont remplis. Je range rapidement dans l'armoire les vêtements que j'ai choisi de conserver. Après quoi, je ramène au grenier les cartons pleins. Cependant, le bric à braque qui s'y trouve ne me laisse pas beaucoup de place. Après avoir superposé quelques cartons, je finis par dénicher une place au fond de la salle.

Revenu dans ma chambre, je contemple l'état de mon armoire. Curieusement, ça m'a fait du bien de l'avoir triée. Comme si trier mes affaires m'a permis de filtrer mes sentiments. D'ailleurs, je ressens le besoin de continuer. C'est ainsi que je me débarrasse de vieux stylos qui ne marchent plus, à vider les tiroirs de mon bureau, allant jusqu'à balayer le parterre. Une heure plus tard, ma chambre est rangée et propre.

Je repense à la parole de Romy « tant que tu garderas confiance en toi, je serai toujours présente » et celle du Dr Clear « pour avancer, vous devez accepter l'idée de ne pas plaire à tout le monde ». Peut-être qu'ils disent vrai, je dois m'accorder une seconde chance, un nouveau départ. Ce n'est qu'en acceptant ma fragilité que je pourrai trouver la force nécessaire d'affronter le monde. Après tout on dit qu'il n'y a pas de courage sans peur, pourquoi n'y aurait-il pas une force sans fragilité.

Comme un baume destiné à me réchauffer le cœur, je répète dans ma tête ce mantra : une seconde chance, un nouveau départ, une nouvelle vie.


Épilogue

Je ne parviens pas à chasser le stress qui m'envahit. Pourtant, je n'ai aucune raison d'avoir peur. Enfin, un petit peu. C'est tout de même mon premier rendez-vous galant. J'hésite entre porter une robe ou un haut assorti à un pantalon. Après un quart d'heure d'indécision, j'ai opté pour une robe. Je laisse mes cheveux tomber sur mes épaules en cascade. Je mets des ballerines en guise de chaussure pour être sûr de ne pas me casser la figure. Enfin, je prends un petit sac à main dans lequel je tente de déposer mon portable et un paquet de mouchoir.

Je m'avance vers la terrasse du café. Il n'y a pas beaucoup de monde, deux ou trois personnes tout au plus. Il n'est pas encore là. En regardant l'heure sur mon portable, je constate que je suis arrivée un quart d'heure à l'avance. Je souris intérieurement. Je ne sais pas très bien ce que je dois faire. Dois-je prendre place ? Ou j'attends qu'il arrive ?

Je me sens ridicule à rester debout ainsi. Je prends place sur l'une des tables de la terrasse. Je préfère rester à l'extérieur pour qu'il puisse me repérer. Un serveur vient aussitôt prendre ma commande.

  • Vous désirez boire quelque chose madame ?
  • Tout à l'heure peut-être, j'attends quelqu'un dis-je un peu confuse.
  • Très bien me répond-il en souriant.

Je suis perdue dans mes pensées lorsqu'une voix m'aborde :

  • Bonjour Bérénice !

Je me retourne, croise son regard et parviens à peine à lui répondre d'une voix audible :

  • Bonjour Steeve !

Il prend place en face de moi. Un franc sourire illumine son visage.

  • J'espère que je ne t'ai pas fait attendre longtemps s'inquiète-t-il.
  • Je suis arrivée il n'y a pas très longtemps le rassuré-je.

Le serveur revient pour prendre la commande. Nous prenons tous les deux un cocktail de fruit. Il cherche sans arrêt à croiser mon regard, tandis que moi je cherche à l'éviter. Je suis trop angoissée. La peur de l'incertitude me noue l'estomac. Combien de temps tout ça va durer ? Est-ce qu'il m'aimera longtemps ou va-t-il me laisser tomber dans quelques jours pour une autre ? Ai-je raison d'avoir accepté ce rendez-vous ?

  • Bérénice m'appelle-t-il, est-ce que ça va ? Interrompant ma liste de question pleine de doute.
  • Oui je vais bien, affirmé-je d'une voix peu convaincante.

Il tend la main, me caresse la joue et soulève délicatement mon visage pour me regarder dans les yeux. Il veut sans doute y lire la peur que je lui cache.

  • Dis-moi ce qui ne va pas me murmure-t-il.

D'une voix entrecoupée, je déclare :

  • Je ne sais pas ce que c'est d'aimer ou d'être aimé. Pour moi le grand amour est réservé aux romans et cinéma à l'eau de rose et non à la réalité. Je redoute à chaque instant un rejet. Un rejet que je serai incapable de supporter réussis-je à avouer.

Il rapproche sa chaise de la mienne. Nous sommes côte à côte, il me prend les mains, se penche vers moi et je me sens aussitôt hypnotisée par le magnétisme de son toucher.

  • Laisse-moi te montrer que l'amour se vit avec espoir. Un délice exquis dont personne ne se lasse jamais.

Je respire un bon coup. Étant impuissante à chasser l'inquiétude et la peur de ma vie, il ne me reste plus qu'à apprendre à vivre dans l'incertitude. Il calle derrière mes oreilles les mèches de cheveux qui tombent sur mon visage. Je lève la tête pour le regarder, il se penche vers moi pour m'embrasser. Je déglutis. Mon premier baiser est fougueux, presque désespéré. Mais au fond de moi, je sais que je suis prête à prendre le risque d'aimer.

Ω FIN